PARIS
Trois musées ayant trait à l’histoire de la médecine ont récemment fermé à Paris, témoignant des difficultés rencontrées aujourd’hui par ce type de lieu. Pourtant ces collections, abritées dans des universités ou des hôpitaux, ont un intérêt. Dans le même temps, le « grand musée de médecine » qui pourrait s’installer à l’Hôtel-Dieu peine à sortir des cartons.
PARIS - À Paris, musées et médecine ne semblent pas faire bon ménage. Ces dernières années, des musées liés à la santé – placés sous la propriété et/ou entre les murs d’université de médecine ou d’hôpitaux – ont fermé les uns après les autres. Dernier en date, le Musée Dupuytren a mis la clef sous la porte en mars (lire le JdA no 452, 4 mars 2016). Situé au sein de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UMPC), sur le site de l’ancien couvent des Cordeliers, ce musée consacré aux pathologies anatomiques était vétuste, limité à la visite simultanée de 19 personnes (son unique salle d’exposition n’étant pas adaptée aux normes d’accueil en vigueur) et ouvert au public de manière aléatoire. Une fois libérés, les espaces du lieu doivent être attribués à l’université Paris-Descartes – voisine de l’UPMC –, qui restructure ses services administratifs. « La présentation des collections patrimoniales est loin d’être prioritaire pour des universités ou des hôpitaux qui sont en recherche de surfaces ou ont des contraintes budgétaires », résume Claude Harel, professeur à Paris-Descartes.
Le Musée Delmas-Orfila-Rouvière, dont les riches collections de pièces réelles ou artificielles d’anatomie (classées au titre des monuments historiques) occupaient le huitième étage de la faculté de médecine des Saints-Pères de Paris-Descartes, a fermé lui ses portes en 2004 pour laisser place à d’autres services. En 2012, le musée de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui retrace l’histoire des établissements hospitaliers de Paris, a fermé à son tour, en dépit de son label « Musée de France », d’un projet scientifique et culturel en cours de rédaction, d’une politique d’expositions temporaires active et de chiffres de fréquentation à la hausse… Pour résorber un déficit financier, l’AP-HP a vendu l’hôtel particulier que le musée occupait depuis 1934.
Le devenir des collections
Mais que deviennent aujourd’hui ces collections médicales ? Les œuvres du Musée de l’AP-HP, placées dans des réserves, font régulièrement l’objet de prêts, de dépôts dans des institutions (tel le Musée de l’Homme) et de courtes expositions dans les hôpitaux. « Avec en ligne de mire l’espoir que les collections soient relocalisées quelque part », explique le service des Musées de France. Depuis la fermeture du musée, c’est l’Hôtel-Dieu de l’île de la Cité – fleuron du patrimoine de l’AP-HP – qui est évoqué comme nouvelle terre d’accueil possible du musée, les bâtiments devant voir leur destination redéfinie. Sur les ondes de France Inter en avril, Martin Hirsch, directeur de l’AP-HP, a indiqué que le projet d’un nouveau musée de l’AP-HP était encore à l’état de balbutiement. « Il y a deux hypothèses : un espace temporaire d’exposition […], ou une collection permanente, ce qui est beaucoup plus cher […] et qui nécessiterait des mécènes », a-t-il précisé. Les conclusions de la mission sur l’avenir de l’île de la Cité, mission confiée par l’État au président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval, et à l’architecte Dominique Perrault, devraient permettre d’éclaircir en septembre les orientations possibles de l’Hôtel-Dieu.
Du côté des collections de l’ex-Musée Delmas-Orfila-Rouvière, l’avenir est moins incertain. En 2011, ces fonds ont été donnés par leurs propriétaires (l’université Paris-Descartes et deux associations) à la faculté de médecine de Montpellier, qui abrite un musée d’anatomie très réputé. Depuis 2014, une sélection d’une cinquantaine d’œuvres est présentée dans une ancienne salle de cours reconvertie en salle d’exposition. Après inventaire, les collections du Musée Dupuytren doivent être déménagées sur le campus principal de l’UMPC, à Jussieu. Jusqu’ici accessibles à tous, elles ne seront plus ouvertes à partir de septembre qu’aux seuls chercheurs et étudiants. Mais l’espoir d’un redéploiement plus vaste de ces pièces demeure, car l’UPMC a annoncé, dans un communiqué, le « projet, à l’étude avec ses partenaires, de rassembler et d’exposer dans de bonnes conditions les collections médicales parisiennes dans un lieu adapté ».
Vers un grand musée de la médecine ?
Cette déclaration, que l’UPMC n’a pas voulu détailler, a fait resurgir un serpent de mer. Depuis des années, des défenseurs du patrimoine médical appellent de leur vœu la création d’un « grand musée de la médecine », qui pourrait s’implanter à l’Hôtel-Dieu, où cohabiteraient différentes collections émanant de différentes tutelles. Une manière de sortir de leurs caisses les collections, qu’elles émanent de musées fermés ou du recoin d’un hôpital ou d’une université – les facultés ou centres hospitaliers semblent en effet abriter en leur sein une petite salle où sont entreposés des objets, œuvres, matériels liés à l’histoire du lieu, gérés par des des médecins bénévoles. Une façon aussi de proposer une muséographie moderne et une médiation qui fait cruellement défaut dans les musées de médecine, qu’ils soient fermés ou encore ouverts (lire l’encadré).
Les petits musées dans leurs murs
Du côté de l’AP-HP, un regroupement n’est pas à l’ordre du jour. « L’AP-HP s’attache au devenir de ses propres collections et à la redéfinition d’un projet pour elle », indique-t-on. Les autres musées sont au diapason. À l’heure actuelle, chaque structure semble envisager l’avenir de ses collections dans ses propres murs ou en partenariat avec des acteurs de sa spécialité médicale : le Centre Antoine-Béclère, qui doit déménager ses collections radiologiques avant le 30 juin pour libérer des espaces dans l’enceinte de Paris-Descartes, confie briguer des locaux du côté de la Société française de radiologie. Quant au Centre hospitalier Sainte-Anne, il prévoit de rassembler dans sa chapelle les œuvres artistiques réalisées par des personnes atteintes de troubles psychiatriques qu’abrite son « Centre de l’étude et de l’expression », mais aussi le matériel psychiatrique historique actuellement entreposé dans un coin de l’hôpital. « Continuer à faire bande à part n’est pas une bonne stratégie », commente Jean-Bernard Cazalaà, médecin anesthésiste qui entretient une petite collection autour de l’histoire de l’anesthésie à la Pitié-Salpêtrière. « C’est là le meilleur moyen que les collections restent assujetties au bon vouloir des directeurs d’hôpitaux et d’universités qui ont bien d’autres priorités que de valoriser leurs collections. Et des petits musées centrés sur une seule spécialité ne risquent pas d’attirer beaucoup de public », précise ce promoteur du rassemblement. Pour Muriel Hilaire, directrice du Musée Pasteur, placé dans l’ancien appartement de Louis Pasteur et géré par l’institut du même nom, « la question est complexe » : « Conserver des petits musées dans leur cadre d’origine est essentiel. Mais cela ne serait pas incompatible avec l’existence d’un grand musée de la médecine qui, via des dépôts émanant de différentes collections, raconterait l’histoire de la médecine de l’Antiquité à nos jours. » Un projet qui restera utopique tant qu’il ne fera l’objet d’aucun portage politique.
Quelques musées sont encore ouverts, pour le plaisir des visiteurs. Ainsi les internautes sur Tripadvisor ne tarissent pas d’éloges sur le charme du Musée de l’histoire de la médecine, situé dans une belle et vaste pièce boisée construite en 1905 au siège de la faculté de Paris-Descartes, mais déplorent son manque de médiation. Il s’agit pourtant peut-être du plus pédagogique des musées de médecine de la capitale, proposant nombre de cartels et un parcours chrono-thématique assez clair. Les autres structures ont plutôt des airs de cabinets de curiosité, étalant ad nauseam des bocaux (pour le Musée Dupuytren) ou des cires anatomiques (pour le Musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis), avec pour seule médiation, quand ils existent, des cartels quasi centenaires. « À l’origine, ces musées ont été conçus pour l’enseignement des étudiants en médecine, qui n’ont d’ailleurs plus beaucoup le réflexe de visiter ces lieux car ils peuvent se documenter sur Internet », explique le professeur Claude Harel. Bien que séduit par l’atmosphère d’un lieu resté « dans son jus », c’est seulement grâce à une visite commentée par le personnel d’accueil du musée – quand il est disponible – que le grand public pourra recevoir les informations qui font défaut dans le parcours. Margot Boutges
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La mauvaise santé des musées de médecine parisiens
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : La mauvaise santé des musées de médecine parisiens