La Maison Jean-Cocteau

Voici le portrait d’un artiste en maison ; y entrer, c’est faire le tour d’un monde. Celui de Jean Cocteau, à Milly-la-Forêt, enjambe les douves du château de la Bonde, abandonné aux sangliers, souverains clandestins sur leur pavillon de chasse. L’ancien corps de logis a hébergé tant de peintres, d’acteurs et d’écrivains qu’on le dirait grevé de servitudes. Dès son achat en 1947 avec Jean Marais, obligation est faite aux amis de génie d’y passer les week-ends. À leur tribut s’ajoute une dette de tréfonds contractée en 2001 par M. Pierre Bergé pour que le « refuge » de Milly-la-Forêt irrigue à nouveau de couleurs, de mots et de senteurs la mémoire du XXe siècle.

Cette « maison qui l’attendait où le printemps jubile partout » est, dans l’hagiographie du romancier, contemporaine du Foyer des artistes et de La Difficulté d’être ; le premier titre, peut-être, apaise le second. Les premiers mois, les amants Jean vivent des moments doux. Mais le domaine, gagné par l’absurde entêtement magnifique des végétaux, demande comme un amour qu’on le cultive. Un jardinier, Candide, vient y cueillir Cocteau et l’amour pour Marais, une fois asséché, laisse place aux racines du sculptural Dermit. Avec Édouard, le poète vit l’automne et l’hiver de sa vie sans jamais laisser tomber ses feuilles. Les cimaises de la Maison-musée attestent le turbin, le travail à la mine ou à l’encre de Chine avec, toujours, une fenêtre sur les glycines. Ici écrivait-il pour peindre plus près de la lumière. Dans la chambre à coucher, fermée derrière son dernier souffle, rien n’a cillé. Juste à côté, dans le bureau, son imagination vidée comme un grenier : des carnets, des cannes ou des pipes à opium et, sur un tableau noir, Orson Welles punaisé en tenue d’Othello, un montage de Harold montrant Sartre en Pie XII, un portrait de Baudelaire.

Comme dans le salon, l’imprimé de cachemire est collé sur les murs à l’envers. C’est l’humour du spleen quand frappe Midnight à une heure de Paris. Ce cabinet tapissé léopard – un motif idéal pour une chanson de Vian, un savant de Verne ou un film d’Allen –, Jean Cocteau ne l’a pas habité comme les statues de cire meublent les dioramas. L’histoire des grands hommes est la somme de leur quotidien, d’une chaudière capricieuse ou des notes laissées dans la cuisine en évidence à chéri Doudou : « Ne te donne pas la peine, j’ai commandé un dîner froid à Milly. »