WINTERTHUR / SUISSE
L’inventaire des 100 000 objets et œuvres d’art, longtemps laissés dans les cartons, de la Fondation pour l’art, la culture et l’histoire a commencé. Afin, à terme, de pouvoir l’exposer au public.
Winterthour (Suisse). L’ensemble pourrait ressembler à un cabinet de curiosités, mais en version XXL. Le patrimoine de la Fondation pour l’art, la culture et l’histoire (Stiftung für Kunst, Kultur und Geschichte, SKKG) comporterait près de 100 000 objets et trois châteaux historiques suisses. On y trouve des objets aussi disparates que des artefacts ayant appartenu à des personnages célèbres (entre autres le testament de Napoléon), des articles d’histoire militaire, des jouets anciens ou encore des biens culturels suisses, dont quelque 6 000 toiles signées Vallotton, Segantini, Hodler ou Anker. Celle qui est souvent qualifiée de « plus grande collection de Suisse » est longtemps restée une énigme pour les habitants du pays.
Constituée depuis les années 1950, rassemblée au sein de la SKKG en 1980, la collection fut gardée au secret jusqu’à la mort de son fondateur en 1998, quelques rares expositions mises à part. Derrière cette destinée peu ordinaire, on trouve une figure hors norme : issu d’une famille modeste de Winterthour, près de Zürich, Bruno Stefanini, collectionneur passionné, était devenu, à la tête d’un empire immobilier souvent décrié pour sa vétusteté, multimillionnaire. Lorsqu’il disparaît atteint de démence sénile à l’âge de 94 ans, Stefanini laisse derrière lui une collection sans inventaire, conservée dans des conditions précaires, et sa fondation, placée sous curatelle fédérale après que l’organe de surveillance des fondations suisses eut statué sur son incapacité à diriger la SKKG. Quelques mois avant sa mort, le tribunal fédéral avait enfin tranché dans le conflit qui opposa des années durant les membres du conseil de fondation et ses deux héritiers, ses enfants. Depuis 2018, sa fille, Bettina Stefanini, à la tête du conseil de fondation, semble vouloir amorcer un virage à 360 degrés dans la gouvernance de la SKKG en donnant des gages de transparence et de professionnalisation.
Inventorier a été la première étape de ce nouveau départ. Entassés dans des cartons à bananes, stockés provisoirement, les objets de la collection ont parfois été retrouvés chargés de polluants ou rongés par les vers : à raison de 250 objets par jour, une équipe de 30 personnes a procédé à cet inventaire des mois durant. Très vite, il a été envisagé de rendre la collection accessible au public. À Winterthour, la ville où tout a commencé, la SKKG planifie l’ouverture du « campo », « un lieu de vie, de travail et de culture » sur 30 000 mètres carrés qui devrait voir le jour en 2026. Sous quelle identité, en développant quelles activités et avec quel public cible ? Les contours du projet semblent encore en cours de définition bien que le concours d’architecture ait été lancé à l’automne 2022. Mais, affirme Bettina Stefanini : « Nous ne voulons être ni un musée ni un entrepôt de collection de plus. Il est plus efficace de soutenir les institutions existantes que d’en construire une nouvelle. » D’où la mise en place d’une active politique de prêts aux musées de la Suisse entière que la SKKG, et d’un programme de soutien à des « projets participatifs » dans le domaine de l’héritage culturel. « La SKKG agit tous azimuts pour rendre sa collection plus visible », résume Olga Schreiner, responsable de la restauration.
Outre le « campo », le château de Grandson, sis sur les rives du lac de Neuchâtel et propriété de la Fondation, est aussi un faire-valoir. Le monument est un haut lieu de l’histoire suisse et sa réouverture après rénovation, prévue pour 2026, fera peut-être oublier le fiasco du château de Brestenberg sur le lac de Hallwil (Canton d’Argovie). Bruno Stefanini avait commencé à transformer cette autre propriété de la SKKG en écrin pour ses collections en 1985, avant de devoir brutalement arrêter les travaux à la suite de l’opposition d’associations de défense du patrimoine et de l’environnement.
C’est également en matière de recherche de provenance que la SKKG entend se positionner en acteur responsable. Depuis le milieu de l’année 2022, 93 peintures ont été soumises à un premier contrôle, six d’entre elles apparaissant déjà comme suspectes. D’ici à la fin 2023, 500 à 600 œuvres au total auront été examinées. Pierre angulaire de l’opération, la constitution d’une commission indépendante « chargée de décider de manière contraignante des mesures à prendre en ce qui concerne les biens culturels confisqués pour cause de persécution nazie » ; à sa tête, l’historien Andrea Raschèr, selon lequel une telle commission appartenant à une fondation privée, « c’est une première et c’est unique au monde sous cette forme ». Car, en cas de suspicion d’art spolié, ce sont d’habitude les musées suisses qui décident eux-mêmes de la suite à donner. Si cette séparation des pouvoirs se révèle unique dans le paysage culturel suisse, elle ne serait pas loin d’élever la SKKG au rang de pionnière en la matière, de quoi contribuer à faire oublier son passé de mauvais élève et, pourquoi pas, à faire des émules.
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La fondation suisse SKKG sort de son sommeil
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : La fondation suisse SKKG sort de son sommeil