BEAUNE, CHABLIS et MÂCON
Trois « Cités des climats et vins » ont été inaugurées au printemps, à Beaune, Chablis et Mâcon. Des lieux qui incarnent l’appétence de la filière viticole pour la mise en scène de son terroir et ses métiers.
Beaune, Chablis et Mâcon. L’histoire commence dans l’océan, il y a quelques millions d’années, alors que la vie marine se décompose pour former le terreau fertile des vignes d’aujourd’hui. Le parcours des trois « Cités des climats et vins de Bourgogne », inaugurées au printemps à Beaune, Chablis et Mâcon, débute par une immersion géologique tout en son et lumière. Écrans interactifs, cartes animées par des projections et douches sonores : le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) a misé sur une scénographie immersive et multimédia pour valoriser son terroir et ses métiers. Et faire du vin un spectacle.
Ouverte en 2016, la Cité du vin de Bordeaux et sa scénographie a fait office d’étalon pour ces parcours viticoles, non sans être critiquée par ses visiteurs, submergés par les treize heures de contenu multimédia proposées sur 3 000 mètres carrés. Au mois de mars, le parcours était renouvelé, après seulement sept ans d’existence, afin d’épurer le nombre d’écrans. Ceci tout en conservant le ton multimédia, rendu plus spectaculaire. Un investissement nécessaire : en sortant de l’ancienne muséographie, certains visiteurs confiaient ne pas comprendre comment le vin était fabriqué.
Pour raconter l’histoire du vin et des vignerons, ces centres d’interprétation s’adjoignent les services d’agences de scénographie renommées, comme les Londoniens de Casson Mann, auteurs de la première mouture de la Cité du vin mais aussi des parcours de la Cité internationale de la gastronomie et du vin de Dijon comme de Pressoria, centre d’interprétation des vins de Champagne. En Bourgogne, ce sont les ateliers Adeline Rispal qui ont conçu les scénographies des Cités de Chablis et Mâcon. Les deux parcours sensiblement similaires (si ce n’est quelques subtilités géographiques entre sud et nord de la Bourgogne) offrent une ambiance lumineuse, dans un élégant habillage blanc courant le long des murs et évoquant la stratigraphie des sols bourguignons, à l’origine de la renommée des vins. Contrairement à la Cité bordelaise, racontant une histoire internationale du vin (et qui sera bientôt déclinée à Pékin), les trois centres d’interprétation bourguignons se concentrent sur la production locale des « climats », ces petites parcelles aux délimitations inchangées depuis des siècles, qui créent une sorte de mosaïque.
À Beaune, le discours ne diffère pas vraiment, mais l’ambiance est radicalement autre, avec une black box et des séparations en bois évoquant l’architecture locale. Car le maire de la ville a eu son mot à dire : écarté en 2013 de la course aux « Cités de la gastronomie » au profit de Dijon [lire l’encadré], Beaune a tout de même souhaité réaliser un bâtiment « signal » en entrée de ville pour héberger le projet du BIVB, qui reste maître d’ouvrage à Chablis et Mâcon. Un méli-mélo qui démontre la convergence des intérêts privés des viticulteurs avec ceux des collectivités locales souhaitant développer l’œnotourisme et l’attractivité de leur territoire : les communes sont parfois même à l’initiative, comme pour Pressoria, porté par l’agglomération d’Aÿ-Champagne sous la forme d’une société publique locale, mais largement financée par le mécénat des grandes maisons voisines.
Dans le contenu de ces centres d’interprétation, l’empreinte des viticulteurs et viticultrices se fait sentir : dès l’espace d’introduction, c’est en général l’un d’eux qui présente de manière lyrique le métier, dans une vidéo alternant vignobles verdoyants et caves éclairées à la bougie. Cette omniprésence du milieu viticole n’empêche pas quelques trouvailles scénographiques. Ainsi, la cave aux saveurs, dans les trois Cités bourguignonnes, révolutionne un peu la médiation olfactive, en proposant de vrais produits à sentir et non des arômes de synthèse. Les nombreux contenus vidéo déroulent en revanche un storytelling bien maîtrisé, magnifiant le métier de viticulteur. À la Cité de Beaune, on en viendrait même à se demander si le parcours n’est pas carrément destiné aux vignerons, heureux de se retrouver dans un long témoignage filmé de quarante minutes sur grand écran, ou amusés par une vidéo plus longue encore consacrée à l’étymologie des 1 247 noms des climats de Bourgogne… , d’un intérêt limité pour le grand public. Le centre du parcours est consacré à l’inscription des climats au patrimoine mondial de l’humanité, avec des digressions sur l’institution onusienne qui ont pour principal objectif l’évocation de ce haut fait d’arme de la profession, réussi en 2015.
À Bordeaux, ce recours excessif au discours des vignerons, souvent lénifiant et peu instructif, a été identifié comme un point à corriger dans la nouvelle scénographie. Dans le Jura, où trois Cités du vin vont bientôt voir le jour, dans la future « Cité du vin » de Sauternes (Gironde), en Alsace et dans le Languedoc où le sujet est évoqué, les organisations viticoles souhaiteront également maîtriser l’image de leur profession. Mais dans les Cités ouvertes, ce discours laisse en jachère des questions pourtant pressantes : l’adaptation au changement climatique – brièvement évoquée –, ou l’importance économique de ces filières… Quant au mot « alcool », il faudra rester concentré durant des heures d’écoute car il n’est pas certain qu’il soit prononcé seulement une fois.
Où en sont les Cités de la gastronomie ?
Après l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, quatre villes avaient été retenues en 2013 pour héberger les futures Cités internationales de la gastronomie. Lyon fut la première à ouvrir, en 2019, mais aussi la première à fermer, en 2021. La faute à une délégation de service public défaillante comme à un échec auprès du public. Au sein du Grand Hôtel-Dieu, le projet, repris en régie directe par la métropole, a été réactivé, par le chef Régis Marcon en 2022, avec des ambitions revues à la baisse : alors que 300 000 visiteurs par an étaient attendus en 2019, on se félicite d’en accueillir 10 000 par mois au lendemain de la réouverture. À Tours et Rungis (Val-de-Marne), les Cités longtemps oubliées semblent se concrétiser. La nouvelle mairie écologiste de Tours a sélectionné trois lieux « totems » en 2021, soit l’année où aurait dû ouvrir la Cité tourangelle. Pas de calendrier dans le Val-de-Loire, mais un horizon 2027 fixé en Île-de-France : le groupe Altarea sera l’opérateur du projet de Rungis en 2022. Enfin, Dijon fêtait au printemps la première année d’ouverture de sa Cité, un investissement de 250 millions d’euros voulu par le maire (PS) François Rebsamen. Ce dernier met en avant le chiffre de 850 000 visiteurs, ce qui correspond au total des visites sur ce site comprenant également commerces et halles gourmandes. Le lieu culturel, lui, bat de l’aile : au lieu des 3 millions d’euros de chiffre d’affaires prévus, il n’aurait, selon un conseiller municipal d’opposition, rapporté que 500 000 euros.
S.H.
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La Bourgogne racontée par trois Cités des vins
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : La Bourgogne racontée par Trois Cités des vins