Hilaire Multon, aujourd’hui à la tête du Musée de Saint-Germain-en-Laye, décrit la situation de l’archéologie en France.
Hilaire Multon est à la tête du Musée d’archéologie nationale (MAN) depuis 2012. Directeur pendant trois ans du Centre culturel français de Turin, il a également été le conseiller de Frédéric Mitterrand entre 2010 et 2012, notamment en charge des Patrimoines. Il commente les évolutions et les enjeux de l’archéologie et de la recherche.
Au regard de votre parcours universitaire, vous sentez-vous en dehors du sérail des musées ?
Je suis effectivement normalien, docteur en histoire, ancien membre de l’École française de Rome. Forts de leur expertise, les conservateurs du patrimoine ont la responsabilité scientifique des collections qui leur sont confiées et peuvent être appelés à diriger des musées, ainsi que des personnalités qualifiées. En France, dans certains établissements, ce peut être des administrateurs civils. Si vous regardez en Europe, des personnalités qui ont eu des parcours universitaires, des historiens et des historiens de l’art se voient confier ce type de responsabilité. C’est peu le cas en France dans les grands musées nationaux. À mon arrivée, je ne vous dirais pas que mon parcours ne m’a pas été reproché. La meilleure réponse, ce sont les faits, les résultats obtenus en termes de rayonnement de l’institution et de fréquentation.
Comment appréciez-vous les relations entre l’université et les autres institutions ?
Les docteurs de l’université sont dans une situation délicate en France, dans de nombreux domaines. En sciences, pour l’accès au monde de l’entreprise ; en sciences humaines pour l’accès à la recherche. Dans certains pays européens et certains pays émergents, les docteurs ont la capacité de faire valoir leurs compétences multiples, alors qu’en France subsiste un fort cloisonnement entre les corps et les carrières. Des évolutions sont à l’œuvre et la prise en compte des nouveaux enjeux en termes de parcours professionnel et d’ouverture internationale émerge, notamment pour les conservateurs. Ce dont témoignent les orientations annoncées par Philippe Barbat, directeur de l’Institut national du patrimoine (INP) dans la formation des futurs conservateurs du patrimoine. Le ministère de la Culture doit trouver de nouveaux talents ! Il est et doit sans cesse se considérer comme un ministère de mission, avec un périmètre d’action toujours en mouvement, à l’image de la société elle-même et de la demande des publics. À cet égard, le lien entre le monde de la culture et celui de la recherche est essentiel, notamment dans un musée d’archéologie.
Comment dirigez-vous le Domaine de Saint-Germain-en-Laye, qui est un service à compétence nationale ?
De manière très pragmatique et en portant une ambition. Notre structure juridique et administrative n’est pas celle d’un établissement public, mais nos missions sont très vastes : un grand musée national, un château actuellement en cours de restauration et un domaine national de 70 hectares. Nous venons de faire voter un organigramme pour nos 96 agents (78 équivalents temps plein), outil indispensable dans la qualité des relations au travail. Il a été l’objet d’une vaste concertation pendant plusieurs mois et a été voté à l’unanimité par les instances. Dans cet organigramme, Catherine Louboutin, conservatrice générale du patrimoine, est mon adjointe en charge de la politique scientifique, donc des collections du MAN, qui sont l’épicentre de notre politique culturelle.
Quelle est la situation du musée actuellement ?
Aujourd’hui le ministère de la Culture et de la Communication a délégué 17 millions d’euros à l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC) pour la restauration du bâti, au titre des monuments historiques. Il y avait depuis 2007 un risque avéré et identifié. Dès ma prise de fonctions, j’ai engagé le chantier de restauration du campanile, première étape inaugurée en janvier 2014. La restauration des façades est en cours. Le MAN est peu ou prou dans l’état envisagé à l’époque d’André Malraux dans les années 1960, à l’exception de quelques évolutions signalétiques, de la salle d’archéologie comparée conçue par Jean-Pierre Mohen dans les années 1980 et des salles gauloises inaugurées en mars 2012. Nous devons produire un projet scientifique et culturel (PSC) à court terme, ce sera fait dans l’année à venir. La renaissance du monument appelle une rénovation muséographique en profondeur.
Comment s’explique le manque de visibilité du musée ?
Les responsabilités sont partagées. Je pense qu’il n’y a pas eu de Trente Glorieuses pour l’archéologie française. Au moment où l’Institut de recherches archéologiques préventives (Inrap) a été créé en 2001, cela a assurément donné un élan. Mais en 2003, avec la mise en concurrence des opérateurs, il y a eu un pullulement d’acteurs et des intérêts parfois divergents. Dans ce mouvement de transformation profonde de l’archéologie nationale, le musée n’a pas été assez présent. Il y a un réseau d’acteurs avec lesquels le musée est appelé à travailler : les services déconcentrés de l’État, l’Inrap, les collectivités territoriales, les musées d’archéologie en région, les centres de recherche. Depuis mon arrivée, cinq conventions de partenariat ont été signées. Si le MAN est le plus riche musée d’archéologie par sa collection, il ne l’est plus en termes de fréquentation : c’est Arles, avec près de 300 000 visiteurs ! En tant que Grand département, nous devrions être une locomotive, un facilitateur, avoir un dialogue nourri avec les autres. Il n’y a pas eu assez de circulation des expositions, nous allons y remédier dès 2017.
Comment envisager un musée d’archéologie au XXIe siècle ?
Le modèle du musée de société ou de civilisations change avec la globalisation et l’entrée dans l’ère numérique. Le Musée de l’homme est un révélateur, qui met en exergue des questionnements très actuels. Dans ce contexte, les musées d’archéologie ont de réelles opportunités devant eux par la simple transformation des attentes du public et par le fait qu’ils inscrivent l’homme dans un territoire, une culture matérielle et dans un temps long. Il y a une forte demande de sens aujourd’hui. À l’âge de l’individualisme consumériste et de la montée des intégrismes, il y a une perte de repères, notamment dans les pays européens. Les musées qui mettent en jeu et en récit l’histoire de l’homme à travers les objets ou les œuvres témoignant de l’adaptation des hommes et de leurs brassages sont au cœur de l’actualité. Au MAN, nous bénéficions d’une collection extraordinaire pour expliquer ces grandes étapes qui concernent les cultures présentes sur le territoire que l’on appelle aujourd’hui la France.
Quelle vision avez-vous pour le musée dans le futur ?
Je ne veux pas déflorer le futur PSC et le travail de coordination sur les collections qui va s’engager. Je suis convaincu qu’il y a une vraie opportunité et une exigence démocratique pour un musée de médiation de l’archéologie de notre territoire, riche de son histoire et de sa diversité. À travers les collections présentées dans les musées de beaux-arts et le développement des musées de site et des centres d’interprétation, on a plutôt une offre régionale aujourd’hui. Le Musée du Quai Branly est un musée au succès avéré qui a centré son discours sur les arts premiers et l’approche ethnologique, le Musée de l’homme se situe dans sa configuration nouvelle au croisement de plusieurs approches et disciplines. Le propos liminaire doit consister à expliquer l’archéologie, son histoire, ses métiers. En dépit d’initiatives remarquables, l’archéologie souffre d’un déficit de visibilité, elle est trop limitée au monde des spécialistes. Nous pouvons et nous devons être le trait d’union entre le chantier de fouilles, la parole de l’archéologue et le grand public.
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Hilaire Multon : « L’archéologie souffre d’un déficit de visibilité »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Hilaire Multon : « L’archéologie souffre d’un déficit de visibilité »