Musée

Guimet repensé pour un visage réequilibré des arts asiatiques

Après trois ans de travaux, le Musée dévoile de nouveaux trésors en pleine lumière

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2001 - 1574 mots

Fermé en 1996, Guimet, Musée national des arts asiatiques, dont l’inauguration était prévue pour l’année passée, rouvre finalement ses portes avec le nouveau millénaire, le 15 janvier.

Menée par Henri et Bruno Gaudin, sa rénovation, d’un coût total de 350 millions de francs, dont 40 millions de mécénat, a permis de dégager quelque 2 000 m2 supplémentaires. Mais plus que ce gain de place, c’est l’entrée de la lumière, et la mise en place sur trois niveaux d’un parcours unifié dans un bâtiment morcelé au fil des années qui marque le nouveau Guimet. L’occasion pour un musée, autrefois célèbre pour ses ensembles lapidaires et ses galeries de céramiques, de montrer nombres de pièces acquises ces quatre dernières années et d’offrir un aperçu rééquilibré des arts d’Asie, à travers peintures et arts décoratifs.

Visible dès l’entrée, le double escalier en courbes surlignées qui dessert les étages du Musée Guimet s’impose comme la première marque d’une rénovation de longue haleine. En faire le principal geste architectural d’Henri et Bruno Gaudin, responsables des nouveaux aménagements du lieu, reviendrait pourtant à occulter la refonte totale d’un espace, défiguré, depuis son ouverture en 1889, par les arrivées successives de collections. Héritière du Musée de l’histoire des religions constitué par Émile Guimet à Lyon, l’institution, devenue Musée national en 1929, s’est en effet orientée vers l’Asie aux grés de remaniements et de transferts de collections : le Louvre y dépose ainsi rapidement les ensembles récoltés par les missions françaises au Tibet et en Asie centrale, et à partir de 1920, les campagnes d’Alfred Foucher, poursuivies par Joseph Hackin, conservateur de Guimet, en Afghanistan sur les sites d’Hadda et de Begram rapportent à l’établissement des exemplaires de l’art du Gandhara. En 1935, la fermeture du Musée indochinois du Trocadéro complète le fonds des sculptures khmères, fruit des missions de Louis Delaporte (1874 et 1882). Après guerre, dans le cadre de la réorganisation des musées français, Guimet échange ses pièces égyptiennes avec le Louvre et reçoit en échange les arts d’Extrême-Orient.

De ces strates successives, le musée a hérité de l’un des plus beaux ensembles occidentaux dans le domaine des arts d’Asie et d’Extrême-Orient mais aussi d’un bâtiment morcelé. “Il fallait repenser le musée de haut en bas”, explique Jean-François Jarrige son directeur. À commencer par l’aménagement du sous-sol, où onze mètres ont été creusés pour abriter des réserves, et accueillir au rez-de-jardin un auditorium rénové et une bibliothèque. Au même niveau, des salles d’expositions permettent de doubler les espaces dévolus aux présentations temporaires (393 m2 auparavant contre 623 m2 aujourd’hui). Les travaux ont certes dégagé quelque 2 000 m2 supplémentaires, majoritairement consacrés au fonctionnement du lieu (500 m2 pour les collections permanentes), mais ils marquent surtout la réintroduction de la lumière dans le bâtiment. Inchangée géographiquement, mais débarrassée d’un mobilier tout en tubulures métalliques, la salle d’art khmer oscille entre la nef et la boîte de lumière. Dans une note d’intention, Henri Gaudin souligne l’importance du dispositif : “la grande salle du rez-de-chaussée n’est pas seulement le lieu d’exposition de l’art khmer ; elle est aussi, comme la cour qui s’y superpose, le cœur du musée, sa respiration, ce poumon par lequel l’ensemble des collections est mis en état de regard. Cet espace, c’est ainsi celui que partage le monde asiatique”.

Le temps et l’espace
Recomposé pour la première fois depuis l’Exposition universelle de 1878, le Grand Naga de la fin du XIIe siècle, qui pointe aujourd’hui son nez dans le hall d’accueil, indique que, pour des raisons historiques et pratiques, l’art khmer continue à inaugurer le parcours du musée. Mais de gauche à droite, l’on peut désormais embrasser en un seul pallier l’art de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est : de l’Inde du Sud au Champa et au Vietnam historique qui bénéficient désormais d’une présentation séparée, en passant par le lapidaire consacré à l’art cambodgien, se dessine ainsi de façon claire la dispersion géographique de la civilisation indienne, foyer du bouddhisme (VIe siècle av. J.-C.) et de l’hindouisme (IIe siècle av. J-C.). À ce monde indianisé clairement défini au rez-de-chaussée succèdent sur les deux paliers supérieurs l’Extrême-Orient, de la Chine à l’Afghanistan, puis le Japon et la Corée. Dans un environnement volontairement neutre, les passages visuels entre les sections sont légion. “Nous avons évité les métaphores, il était hors de question de recréer l’atmosphère mystérieuse des temples et des tombeaux, commente Jean-François Jarrige. Mais de façon plus souterraine, l’architecture file la métaphore de l’espace et du temps – usuelle pour un musée –, en usant de perspectives horizontales mais aussi verticales.

De l’escalier, le regard est sans cesse invité au rappel, et les socles ménagés le long des murs sont autant d’invitations à la promenade, répétées par des trémies creusées entre les étages. Façon d’”être attentif à la cohérence des cheminements, à l’aisance des parcours, de rendre à l’espace sa perméabilité, d’offrir au visiteur des chemins aussi soyeux que le sont les admirables tissus qui accompagnent les peintures et qu’il nous sera accordé d’admirer”, pour reprendre les termes d’Henri Gaudin. Engagé par la préhistoire chinoise et une collection de jades exposée face à la lumière, le premier étage est conçu sur un modèle similaire au rez-de-chaussée, mais offre une lecture à double sens, conceptuellement engageante mais intellectuellement exigeante : chronologie chinoise dans un sens, route de la Soie dans l’autre. Dans la première alternative se déroulent à partir de tripodes néolithiques de courtes séries de bronze des dynasties Shang (du XVIIIe siècle av. J.-C. au XIe siècle av. J.-C.) et Zhou (du XIe siècle av. J.-C. à 249 av. J.-C.), poursuivies par des mingqi – petites statuettes funéraires – des époques Han, Tang (jusqu’en 907), et des exemples de statuaire bouddhiste.

Au centre, déployé pour la première fois depuis l’exposition “Sérinde” du Grand Palais, le trésor de Dunhuang multiplie les visions du Bouddha. Il fait écho aux œuvres qui l’entourent, avec en amont le bouddhisme chinois, et en aval les reconstitutions de stupas du site d’Hadda, témoignages de l’art gréco-bouddhique d’Afghanistan. “Ces ensembles ont été reconstitués à partir des rapports de fouilles, explique Jean-François Jarrige, ils sont composés de pièces autrefois présentées indépendamment dans des vitrines séparées. Ces pièces, datées entre le Ve et le VIe siècle sont d’autant plus importantes que le site d’Hadda, comme le musée de Kaboul, a été pillé. Il s’agit d’un travail de reconstitution mais aussi de mémoire d’un patrimoine détruit à 90 %.” Révélateur de la rencontre de trois mondes par la présence simultanée de verrerie gréco-romaine, de laques chinoises, et d’ivoires indiens, le trésor de Begram découvert par Hackin en 1937 a aussi profité de ces travaux. La coupole de Kakrak surplombe le visiteur. Une stèle datée des environs de 570 rend, elle, compte avec ses deux moines donataires des riches heures du bouddhisme chinois. Autrefois exposée au Victoria & Albert Museum, la stèle a été vendue en 1989 par son propriétaire, un fonds de pension britannique. Guimet, qui peut s’enorgueillir de l’avoir achetée au quart de sa valeur en 1997, la présente aujourd’hui au public, parmi les nombreuses autres acquisitions réalisées pendant la fermeture. Cette politique de l’entre-deux permet au musée, autrefois célèbre pour son ensemble khmer, ses collections lapidaires indiennes et ses 10 000 céramiques chinoises, de montrer un visage rééquilibré du continent.

Un continent rééquilibré
À la suite de la Chine, l’art tibétain, et ses exemples d’orfèvreries et de tankas himalayens font désormais l’objet d’un large développement, et des techniques autrefois faiblement représentées comme la calligraphie, la peinture, et les textiles font une entrée remarquée. Rendue possible par la donation de Krishna Riboud, la galerie éponyme qui jouxte l’ancienne bibliothèque, laissée en état pour abriter miniatures et manuscrits anciens, accueille ainsi un ensemble conséquent de l’Inde moghole. À côté d’une dizaine de tissus exposés en alternance sont disposés des exemples d’un art de cour brillant, à l’image d’un perroquet Moghol, d’or, de perles et de diamants, ou d’une large émeraude sculptée. “Nous avons évidemment de très beaux exemplaires de sculptures indiennes, mais toute l’Inde moghole du XVIIe et du XVIIIe qui avait fait rêver les voyageurs était absente. Aujourd’hui nous rivalisons avec le Victoria & Albert Museum”, se réjouit Jean-François Jarrige. Autre gagnante de cette réévaluation, la peinture chinoise présentée dans une galerie du troisième pallier, au sein d’un parcours consacré à l’art des lettrés, des Song aux Qing (jusqu’en 1911), au détriment de la céramique, réduite à une portion digeste.

Au même étage, la principale révolution concerne l’importance accordée au Japon et à la Corée. Longtemps parent pauvre du Musée, l’archipel nippon s’étend le long d’un patio. Quant au second étage de la bibliothèque, il abrite une sélection d’estampes et de peintures de l’époque Edo. La Corée, réduite à 60 m2 dans l’ancienne configuration, s’étend désormais sur 360 m2, témoignage du renforcement des collections, qui, à l’instar du musée, ont bénéficié de nombreux mécénats, parmi lesquels la Fondation Korea et Samsung. Sur les 350 millions nécessaires à la rénovation du bâtiment, 40 proviennent de donations.

Enfin, cerise sur le gâteau – au risque de passer inaperçue au milieu des bureaux de la conservation –, la rotonde du dernier étage présente une sélection de meubles laqués et offre une vue imprenable sur la capitale. “Guimet est un musée d’art asiatique à Paris”, conclut Jean-François Jarrige.

Musée national des arts asiatiques, 6 place d’Iéna, 75116 Paris, tlj sauf mardi de 10h à 18h, à partir du 15 janvier, www.museeguimet.frà cette occasion L’Œil publie un hors-série de 20 pages (25 F).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : Guimet repensé pour un visage réequilibré des arts asiatiques

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