FRANCE
Créés pour la plupart dans les années 1980-1990, les centres d’art et les Frac sont aujourd’hui des structures « adultes ». Et comme pour toutes les organisations matures, se pose le problème de la mobilité des équipes de direction.
France. De nombreuses directions de Frac et centres d’art ont changé de tête ces derniers temps. En mars dernier, Muriel Enjalran (42 ans), directrice du Centre régional de la photographie des Hauts-de-France à Douchy-les-Mines succédait au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur à Pascal Neveux (56 ans), lequel remplaçait Yves Lecointre (qui a pris sa retraite) au Frac Picardie. Au Centre d’art Micro Onde à Vélizy-Villacoublay, en banlieue parisienne, Léo Guy-Denarcy (37 ans) remplace depuis début février Audrey Illouz (43 ans), démissionnaire, tandis que Bétonsalon (Paris) voit arriver une nouvelle directrice, Émilie Renard (47 ans), ancienne responsable de La Galerie à Noisy-le-Sec.
Cette mobilité n’est pas récente. Entre 2015 et 2020, trente et un Frac et centres d’art parmi les quatre-vingt-trois étudiés dans le cadre de notre enquête, soit plus d’un tiers, ont aussi changé de directeurs. Pour les seuls vingt-trois Frac, on relève onze changements sans compter les recrutements en attente pour le Frac Corse et le Frac Normandie-Caen, contre seulement deux pour la période 2009-2014. Ainsi près de la moitié des directions de Frac seront renouvelées d’ici la fin 2021. Le tempo est moins marqué pour les centres d’art, mais il reste élevé : vingt sont concernés pour la même période sur les soixante recensés. Cinq postes par ailleurs sont actuellement à pourvoir, voire six avec le départ, fin avril, de Marianne Lanavère (47 ans) de la direction du Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière.
La rotation rapide des dirigeants est le propre de toutes les jeunes associations (la plupart des Frac et centres d’art ont le statut d’association selon la loi de 1901) qui opèrent dans un domaine – l’art contemporain – relativement récent lui aussi. Créées pour la plupart dans les années 1980-1991 dans le cadre du grand mouvement de décentralisation lancé par Gaston Deferre, ces associations ont connu cent soixante-six changements (et 249 directeurs), soit trois directeurs en moyenne. Parmi elles, trente-deux ont connu plus de trois changements.
Pour autant, de nombreux signaux annoncent un ralentissement de cette mobilité. D’abord l’âge moyen des directeurs. Il est de 50 ans avec une médiane toute proche de 49 ans, ce qui veut dire que quarante directeurs ont plus de 49 ans [voir graphique ci-dessous]. Ce vieillissement n’est naturellement pas un problème en soi et s’explique aisément. Comme l’art contemporain est un art très générationnel, il n’est pas étonnant que les directeurs de lieux qui exposent de l’art contemporain épousent toutes les générations d’artistes, y compris les plus anciennes (celles des années 1960).
Plus significative est l’ancienneté moyenne des directeurs, elle est de 9,8 ans. On relève qu’en 2015, la ministre de la Culture de l’époque, Fleur Pellerin, a limité le mandat des directeurs d’opérateurs culturels à 9 ans de sorte qu’un dirigeant de musée ne peut pas rester plus de 9 ans dans un lieu patrimonial, tandis que la moitié des directeurs des Frac et centres d’art, des structures plus jeunes ont plus de 9 ans d’ancienneté [voir graphique ci-dessous].
C’est le cas des fondateurs de certains lieux. Ainsi Caroline Bissière dirige depuis 42 ans le Centre d’art de l’abbaye de Saint-André à Meymac qu’elle a créé en 1979 et Sylvie Boulanger est aux commandes du Centre national édition art image à Pantin depuis son origine en 1997. Alain Julien-Laferrière est resté 35 ans à la tête du Centre de création contemporaine-Olivier Debré (CCC-OD de Tours) jusqu’à son départ à la retraite en 2019, après avoir donné une nouvelle dimension au lieu. Certains directeurs de Frac tiennent à consolider la structure qu’ils ont contribuée à ériger. C’est la situation de Jean-Charles Vergne au Frac Auvergne (26 ans d’ancienneté), de Sylvie Zavatta au Frac Franche-Comté (16 ans), de Xavier Franceschi au Frac Île-de-France (15 ans), ou de Claire Jacquet au Frac Nouvelle-Aquitaine Méca (14 ans).
Le ralentissement de la mobilité s’explique aussi par la stabilisation du nombre de lieux. Il n’y a presque plus de créations de centres d’art (le nombre de Frac est lui, par définition, au mieux stable). C’est même l’inverse qui se produit. En quatre ans, ont fermé le Centre d’art de Quimper, la Villa Vassilieff à Paris, et menacent de l’être Le Magasin à Grenoble et le Parc Saint-Léger.
Curieusement, il y a très peu de mobilité à l’intérieur du réseau. Seuls quinze dirigeants actuels sur quatre-vingt-trois viennent d’un Frac ou d’un centre d’art. Les cas d’Isabelle Reiher passée de la direction du Centre international de recherche sur le verre et des arts plastiques à Marseille au CCC-OD de Tours, ou d’Étienne Bernard, directeur du Frac Bretagne depuis 2019, après avoir dirigé Passerelle à Brest, sont suffisamment limités pour être mentionnés.
Sortir du réseau apparaît tout aussi aventureux, même si selon notre pointage une quarantaine de personnes l’ont fait. Rares sont ceux qui intègrent ou dirigent des établissements nationaux, des musées, des fondations privées ou des écoles d’art, à l’exemple de Jean de Loisy, Christian Bernard, Béatrice Salmon, Marc Donnadieu ou Odile Biec. Le statut de conservateur, obligatoire pour diriger un musée, leur ferme en général l’accès, alors que pourtant un Frac gère une collection. Nommée dernièrement à la direction du Centre Pompidou-Metz, Chiara Parisi fait exception, mais il est vrai que l’établissement n’a pas de collection en propre. Le parcours de certains directeurs de centres d’art montre qu’un petit nombre d’entre eux choisissent, à un moment donné, de quitter leur poste pour être à nouveau commissaire ou directeur artistique indépendant, tels Pierre Bal-Blanc, Audrey Illouz ou Émilie Renard avant que cette dernière ne soit nommée à la direction de Bétonsalon.
Partir à l’étranger est encore plus difficile. Florence Derieux, ancienne directrice du Frac Champagne-Ardenne passée du Centre Pompidou Foundation à New York, puis à la galerie Hauser & Wirth, fait figure là encore d’exception comme Larys Frogier, ex-directeur de La Criée à Rennes, qui a pris la direction du Rockbund Art Museum (RAM) à Shanghaï. En revanche, à la direction des Frac Alsace, Frac Lorraine ou Frac Normandie-Rouen ont été nommées trois directrices au parcours professionnel mené outre-Rhin.
Autre signe de la maturité du réseau et des freins à la mobilité : le milieu de l’art contemporain s’est professionnalisé et les compétences demandées sont bien plus élevées qu’il y a dix ou vingt ans. Mis à part Quentin Bajac au Jeu de paume et Emma Lavigne au Palais de Tokyo, deux structures atypiques dans le réseau, on note l’arrivée de Stanislas Colodiet (ex-responsable des collections au Musée Fabre de Montpellier) au Cirva ou de Loïc Le Gall (ex-attaché de conservation au Centre Pompidou) à Passerelle à Brest.
Parité. Les postes de direction des centres d’art et Frac sont largement occupés par des femmes (66 %). En fait, dès le début, les femmes ont été aux commandes, leur proportion passant pour les Frac de 52 % dans les années 1980 à 61 % aujourd’hui, et de 45 % à 68 % pour les centres d’art. La question de la parité en faveur des femmes ne s’est donc jamais posée pour ces structures. « Les femmes ont eu, et ont toujours accès, aux centres d’art car ils sont dans leur grande majorité situés en région, parfois géographiquement reculés et dotés de moyens contraints », souligne Sophie Legrandjacques, créatrice et directrice du Grand Café à Saint-Nazaire. « Une présence forte de femmes dans un secteur s’avère être souvent le signe d’une précarisation », rappelle Marie Cozette, directrice du Centre régional d’art contemporain Occitanie à Sète. « Les rémunérations sont basses et pas du tout à la hauteur des compétences, ni des fiches de poste qui explosent », constate Garance Chabert, directrice de la Villa du Parc à Annemasse. On dénombre d’ailleurs beaucoup plus de femmes que d’hommes lors des appels à candidature. Et ce quelle que soit la notoriété du centre d’art ou du Frac. « Il est possible que les hommes soient davantage tentés par des structures plus importantes où l’on peut développer des parcours professionnels avec une rémunération plus conséquente », explique Sophie Legrandjacques. Exceptés le Palais de Tokyo et le Jeu de paume, « les centres d’art ne sont pas des lieux de pouvoir », remarque Émilie Renard, directrice de Bétonsalon.
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Gouvernance des Frac et centres d’art, l’âge de la maturité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°562 du 5 mars 2021, avec le titre suivant : Gouvernance des Frac et des centres d’art, l’âge de la maturité