Fin de mandat ou rupture de contrat, plusieurs postes de direction de centres d’art et de Frac étaient à pourvoir en 2021. Les appels à candidature ont donné lieu à quelques couacs.
France. Lorsque son téléphone a sonné à 22 heures 30, un dimanche, ce commissaire et critique d’art ne s’attendait pas à appel du ministère de la Culture. Son interlocuteur du soir tenait cependant à l’informer personnellement du fait que l’appel à candidature pour le renouvellement de la présidence du Palais de Tokyo était prolongé d’une semaine. Et l’invitait donc à y réfléchir.
L’anecdote est révélatrice de l’entre-soi qui règne dans le secteur de la culture et du peu de formalisme dont s’embarrassent les tutelles quand il s’agit de communiquer. Cela pourrait prêter à sourire. Mais certains échos sont plus préoccupants. « Ainsi, est-il normal de payer son billet de train et son hôtel pour passer un entretien d’embauche expédié en douze minutes ? », interroge cette candidate malheureuse à la direction d’un Frac. Défraiements aléatoires, opacité des calendriers tant pour les auditions que pour les dates d’annonce des résultats, parité en trompe-l’œil, jurys peu pertinents ou peu cordiaux, refus non argumentés et autres petites humiliations entre amis… Nombreux sont les candidats qui se plaignent du peu d’égard, voire du manque de professionnalisme, ressenti lors des protocoles d’embauche.
Existe-t-il de réelles défaillances dans les modalités de recrutement des Frac et des centres d’art, et faut-il s’en inquiéter ? « Je n’ai pas eu vent de dysfonctionnements majeurs, assure Garance Chabert, membre de la gouvernance du réseau « dca », qui regroupe une cinquantaine de centres d’art. Normalement, les déplacements sont défrayés, en tout cas c’est ce que nous préconisons. Il est vrai que l’on demande aux candidats beaucoup de travail, ils doivent produire des dossiers très complets pour répondre aux attentes des collectivités publiques. »
Les appels à candidature pour la direction des centres d’arts comprennent en effet un appel à projet. La réglementation prévoit par ailleurs la parité des candidats, comme du jury, qui réunit les partenaires publics et des personnalités qualifiées. La procédure est à peu près identique pour les Frac et, dans tous les cas, les dossiers requis nécessitent un investissement en temps conséquent. « Il n’y a aucune raison que ce travail, qui s’inscrit dans le cadre d’un entretien d’embauche, soit rémunéré », affirme toutefois François Quintin, délégué adjoint aux arts visuels à la direction générale de la création artistique au ministère.
Cependant on peut concevoir la déception éprouvée par les postulants sélectionnés, qui ont peaufiné une note d’intention synthétique de plusieurs pages, calculé un budget, évalué les possibilités d’augmenter les ressources propres d’un établissement, réfléchi à la meilleure façon d’ajuster un projet aux politiques culturelles locales et nationales, lorsqu’ils ont face à eux un jury qui s’attarde, par exemple, sur une question de terminologie. « Je ne m’attendais pas à un auditoire aussi pléthorique, ni aussi rude. L’attitude des jurés était à la fois dépourvue de bienveillance et de curiosité, ce qui m’a paru étrange parvenu à ce niveau de recrutement », témoigne un candidat échaudé par une de ses premières expériences.
Pierre Bal-Blanc, pourtant connu pour avoir été à l’initiative de plusieurs projets collectifs internationaux, s’est fait tancer vertement en plein exposé : « Vous ne parlez que de vous ! » L’ancien directeur du centre d’art contemporain de Brétigny, après s’être mis à plusieurs reprises sur les rangs sans succès, a d’ailleurs décidé de jeter l’éponge, et de le dire. « Je ne veux plus postuler en France dans ces conditions », déclare-t-il, écœuré aussi par le poids du politique dans certains choix de nominations, autre facteur de découragement. Alors que les jurys réunissent autour de la table les tutelles locales et ministérielles, les enjeux territoriaux prennent parfois le pas sur les considérations artistiques et la vision d’ensemble d’un projet. « Nous avons l’habitude de ces tables pluripartites et le réseau “dca” est très mobilisé sur ces questions », explique Garance Chabert. La vigilance semble en effet de rigueur.
La souplesse également : les prétendants doivent savoir faire preuve d’adaptabilité s’ils veulent être disponibles le jour J pour l’audition devant le jury, quand bien même ils ont, de leur côté, des agendas assez chargés. « La plupart du temps, on ne vous explique même pas pourquoi votre candidature n’a pas été sélectionnée, même si vous cochez toutes les cases », déplore une ancienne responsable d’établissement. Quant aux résultats finaux, on sait rarement quand et comment ils sont communiqués. « Pas trop déçu ? », aurait lancé un représentant du ministère de la Culture à un candidat éconduit croisé un soir de vernissage, alors qu’aucune annonce officielle n’avait encore été faite. Pénible, voire un peu mortifiant, d’apprendre son échec de la sorte. Ou par Twitter, comme les candidats à la direction du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui a révélé l’identité de l’heureuse élue sur les réseaux sociaux avant d’avoir envoyé son communiqué. « Il y a eu des ratés, convient François Quintin, et nous faisons en sorte que cela ne se reproduise plus. »
Pour sortir du recrutement « entre soi »
Chasseurs de têtes. Recourir à un cabinet de recrutement spécialisé dans le secteur culturel pour identifier le profil correspondant à un poste à pourvoir ? Cette pratique courante en Angleterre et en Allemagne n’est pas très prisée en France. Les établissements publics en particulier semblent peu enclins à payer la valeur ajoutée de ce service et ont tendance à fonctionner en vase clos. Depuis qu’elle a créé, en 2018, un département culture chez Mo Conseil (un cabinet parisien de chasseurs de têtes réputé dans l’univers de la mode et du luxe), Angélique Aubert travaille essentiellement avec des institutions privées. Et envisage chacune de ses missions à rebours de la « logique de silo » qui consiste à débaucher une personne occupant un poste exactement équivalent dans une structure semblable. Passer de la levée de fonds dans le domaine médical à la recherche de mécénat pour l’Opéra de Paris, c’est possible, et ça marche, souligne-t-elle. « Il est nécessaire de créer plus de fluidité dans le recrutement culturel, remarque-t-elle. Sans compter que continuer à apprendre au cours de sa vie professionnelle est un objectif stimulant, cela contribue à l’épanouissement personnel. »
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L’épreuve du recrutement dans les Frac et les centres d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : L’épreuve du recrutement dans les Frac et les centres d’art