Les propriétaires privés s’inquiètent des menaces qui pèsent sur le régime fiscal des monuments historiques, considéré comme une simple « niche » par la ministre de l’Économie.
Connaissances en gestion et en fiscalité, en ressources humaines, en droit du patrimoine et social ; inventivité pour renouveler une offre destinée à des publics divers ; aléas climatiques qui plombent une saison... Les qualités requises pour administrer et animer un château privé s’apparentent de plus en plus à des compétences professionnelles, que leurs propriétaires, qui se considèrent comme des « conservateurs bénévoles », aimeraient voir davantage reconnues. « Je ne connais personne qui investisse dans les monuments historiques pour en tirer profit », tempête Jean de Lambertye, président de La Demeure historique. Depuis plusieurs mois, cette association, qui fédère 3 000 propriétaires, bataille face à la nouvelle menace qui pèse sur les épaules de ceux qu’il appelle des « entrepreneurs au service du patrimoine » : la remise en cause du régime fiscal des monuments historiques protégés, considéré par le gouvernement comme une simple « niche fiscale ». Autrement dit, un placement lucratif permettant aux personnes fortunées de payer moins d’impôts, au même titre que les défiscalisations d’outre-mer ou les locations en meublés professionnels. Le rapport gouvernemental rendu public le 6 mai par Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, et relatif aux « dispositions permettant à des contribuables de réduire leur impôt sur le revenu sans limitation de montant » a semé un vent de panique chez les propriétaires de monuments historiques. Et pour cause : ce rapport avait reçu un blanc-seing de la ministre de la Culture, avant que celle-ci ne fasse volte-face en affichant une opportune et subite hostilité au dispositif, dans un article publié le 5 juin dans le quotidien Libération. Soit le jour où la Commission des finances de l’Assemblée nationale retoquait l’essentiel de cette proposition dans un nouveau rapport qui devrait peser sur les orientations de la prochaine loi de finances.
État préoccupant
À l’heure où le parc monumental est dans un état sanitaire de plus en plus préoccupant, comme l’a confirmé un rapport de décembre 2007, produit par le ministère de la Culture à la demande des parlementaires (lire le JdA n°275, 15 février 2008), le gouvernement a-t-il raison de malmener ainsi les propriétaires privés de monuments historiques ? La moitié du parc protégé se trouve ainsi en mains privées, soit 20 000 édifices dont 5 500 châteaux. Selon le code du patrimoine, ces propriétaires sont, par ailleurs, responsables devant la collectivité de l’entretien de leurs biens, considérés comme patrimoine national. Instauré en 1965, le système avait jusque-là toujours fait consensus, à droite comme à gauche. L’esprit de ces dispositions ne vise pas à favoriser d’heureux propriétaires optimisant un investissement financier, mais à les inciter à entretenir leur patrimoine et à l’ouvrir au public. « Les déductions fiscales sont un mode de répartition, entre eux-mêmes et l’État, des charges nées de la mission qui leur a été confiée », poursuit Jean de Lambertye. Cela grâce à un système de défiscalisation, qui permet l’imputation sans limite de certains déficits fonciers sur le revenu global ou, si le monument ne produit pas de recettes, la déduction des charges afférentes au monument. La proposition Lagarde en signait le coup d’arrêt, en créant des catégories de charges déductibles. « Les monuments sont un tout, explique Jean de Lambertye. Toutes les charges d’un monument sont spécifiques, y compris les primes d’assurances qui incluent des risques particuliers et n’ont pas le même coût que pour une maison ». Il suffit d’ailleurs de s’en référer aux Codes de l’urbanisme et du patrimoine pour trouver la liste des innombrables travaux relevant d’autorisations spéciales. Le projet prévoyait également de plafonner les déficits fonciers à 10 700 euros par an. Le président de La Demeure historique a donc sorti sa calculatrice : un château recevant 1 000 visiteurs par an, à 7 euros le billet d’entrée, génère 7 000 euros de recettes. Un mi-temps annuel pour assurer les visites (15 000 euros) ajouté aux frais de promotion (3 000 euros) et le déficit s’élève déjà à 11 000 euros... Pourquoi, dès lors, les 1 257 monuments qui n’atteignent pas le seuil des 2 000 visiteurs annuels ouvriraient-ils encore leurs portes au public ? Tout cela pour s’exonérer d’une dépense fiscale annuelle chiffrée par les députés à 30 ou 40 millions d’euros et alors que La Demeure historique estime le retour pour la collectivité à 90 millions, notamment grâce aux cotisations sociales – les monuments privés feraient vivre 63 000 salariés.
Sagement, la Commission des finances de l’Assemblée nationale, présidée par Didier Migaud (PS), a écarté ces propositions, tout en insistant sur la nécessité de clarifier le système. Nul n’ignore que certains propriétaires n’entrouvrent leurs portes que durant les cinquante jours réglementaires, afin de bénéficier des avantages fiscaux. « Certains ont donné une très mauvaise réputation aux châteaux en accueillant très mal leurs visiteurs, reconnaît la propriétaire d’un château qui reçoit près de 25 000 personnes par an. C’est l’une des raisons pour laquelle les châteaux attirent de moins en moins le public ». Les députés voudraient donc obliger les propriétaires à s’engager sur une durée minimale de 10 ans, et instaurer un plafonnement pour les seuls monuments fermés à la visite. Pour quelques abus, et alors que les subventions ont déjà baissé de 60 % en 3 ans, faut-il prendre le risque de mettre à bas un système qui a permis de préserver une part importante du patrimoine national, alors que les besoins sanitaires sont déjà chiffrés à 10 milliards d’euros ? Cela même si la question du mécénat en faveur de ces monuments privés n’a pas avancé d’un iota, faute de soutien de la Rue de Valois.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Fermetures annoncées ?