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Jean de Lambertye : « La brutalité des chiffres ne nous rend pas très sereins »

Président de La Demeure Historique

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2013 - 810 mots

Jean de Lambertye est président depuis 2001 de l’association La Demeure Historique. Fondée en 1924 et reconnue d’utilité publique en 1965, La Demeure Historique regroupe plus de 3 000 propriétaires-gestionnaires de monuments classés ou inscrits au titre des Monuments historiques.

Le budget Culture du projet de loi de finances 2014 prévoit 309 millions d’euros pour les Monuments historiques. Ce montant vous satisfait-il ?
Nous sommes assez « provinciaux » de par la structure des monuments que nous représentons : ce qui nous intéresse plus que les 300 millions que vous évoquez, c’est ce qui va aux crédits déconcentrés aux territoires. Dans le projet de loi, sur les 230 millions d’euros alloués aux crédits déconcentrés, un tiers est censé revenir aux monuments n’appartenant pas à l’État. C’est donc en réalité 77 millions d’euros qui vont être dévolus à l’entretien des monuments historiques n’appartenant pas à l’État, qui représentent ensemble 95% des monuments français. C’est le résultat d’un processus lent et discret, mais l’État et les collectivités cherchent à se désengager de leurs monuments.
S’agissant du désengagement financier des conseils généraux qui étaient des contributeurs importants, j’ai posé à Vincent Berjot [directeur général des patrimoines, ndlr] la question du rôle de l’État. La réponse a été très claire : « Je ne souhaite pas que l’État compense le désengagement des collectivités , ce qui risquerait de déresponsabiliser celles-ci ». Mécaniquement, il y a une perte de capacité d’entretien et de restauration des monuments historiques sous l’effet de la baisse des crédits. Il y a un repli sur soi de l’État qui pose un problème d’activité économique pour les entreprises spécialisées. Je viens de voir une entreprise de pierre de taille en Lorraine, avec qui je travaillais depuis plus de trente ans, mise en redressement judiciaire : c’est une réalité. On écoute avec intérêt les propos rassurants, mais la brutalité des chiffres fait que nous ne sommes pas forcément très sereins.

Le projet de loi de finances pour 2014 propose également d’exclure les immeubles agréés de la déduction au titre des Monuments historiques, réservant la défiscalisation aux immeubles classés ou inscrits : cela vous inquiète-t-il ?
L’agrément fiscal a une dimension très spécifique : il déclenche l’ouverture de monuments ou jardins au public. On peut concevoir la volonté de simplification fiscale, mais en réalité, sans aménagements, on va perdre une capacité de découverte des monuments qui ne bénéficient pas de protection spécifique au titre des Monuments historiques. Nous demandons que les monuments qui ont l’agrément sans classement ou inscription puissent bénéficier d’une étude plus rapide de la possibilité d’une inscription par les Drac.
Il y a également la notion plus spécifique des jardins agréés. Le label « Jardin remarquable » pourrait bénéficier d’un aménagement fiscal pour permettre que ces jardins ne se retrouvent pas abandonnés. Il s’agit pour nous de réintégrer les monuments qui bénéficiaient de l’agrément dans un dispositif de protection existant, c’est tout à fait faisable.

Concernant la future loi sur le patrimoine prévue pour 2014, que vous inspirent les volontés de simplification des protections voulues par la ministre Aurélie Filippetti ?
Nous avons des réunions de travail très opérationnelles avec la Direction générale des patrimoines, on ne peut que saluer la qualité du dialogue sur le plan technique. Cette loi a vocation à mes yeux de simplifier les protections en rappelant des principes fondamentaux. Nous sommes plus sensibles à la question des abords : c’est notre préoccupation principale. Sur ce sujet, nous sommes très inquiets et un peu surpris de l’abandon du combat par le ministère, qui délaisse les paysages en rase compagne, notamment au profit du lobby éolien. On sacralise la protection immédiate, en laissant de côté tout ce qui va au-delà, faute d’arbitrage interministériel clair entre le ministère de l’Écologie et le ministère de la Culture. Sur le sujet, il n’y a pas d’arbitrage interministériel entre le ministère de l’Écologie et le ministère de la Culture. Il y a une omerta sur l’industrie éolienne, au détriment de la sauvegarde des paysages.

Face à la baisse des crédits, quelles pourraient être les solutions alternatives ?
Nous observons une demande de services croissante de la part de nos adhérents. On est passé d’une vision associative à une notion de mutualisation de services et de demandes dans le domaine de l’emploi, de la maîtrise d’ouvrage, du droit du travail. Nous mettons en place un projet pilote de groupement d’employeurs dédié aux Monuments historiques en Auvergne par exemple : ce serait un opérateur de partage de gestion courante, entre entreprises, propriétaires et communes, sur une logique de territoire. D’autre part, la Fondation pour les monuments historiques, créée en 2008 sous l’égide de la Fondation de France et dont La Demeure Historique est à l’initiative, a vocation à se développer très fortement pour apporter une contrepartie significative au désengagement avéré des pouvoirs publics. Nous voulons en faire une vraie réponse au financement privé et international des monuments français.

Pour en savoir plus :

Le site de La Demeure Historique et du Château de Cons-la-Grandville, propriété de Jean de Lambertye

Légende Photo :
Jean de Lambertye. © Photo Laurence de Terline

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Jean de Lambertye : « La brutalité des chiffres ne nous rend pas très sereins »

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