ROME / ITALIE
Cet amoureux du marbre antique a sillonné le monde et publié nombre d’ouvrages. Il a contribué au récent retour en Italie d’une mosaïque disparue.
Rome. Le marbre est le fil rouge de sa vie. Rouge porphyre, la pierre de prédilection de Dario Del Bufalo dont il est le plus fin connaisseur en Italie et dans le monde. On lui doit le retour en Italie d’une importante mosaïque ornant un des navires du lac de Nemi de l’empereur romain Caligula. Une pièce unique disparue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour admirer son éclat, on ne disposait plus que d’une seule photographie en couleurs prise dans les années 1950. « Je l’ai publiée dans mon livre sur le porphyre, relate Dario Del Bufalo. En 2013, lors d’une séance de dédicace organisée par mon éditeur à New York, j’entends plusieurs personnes commenter entre elles la photo en s’exclamant “Regarde c’est la mosaïque d’Helen !”. Intrigué, je me suis lancé à sa recherche. J’ai ainsi découvert qu’elle servait de table à une antiquaire italienne vivant à Manhattan pour prendre le thé avec ses amis. Elle finira par révéler l’avoir illégalement exportée d’Italie dans les années 1960. » Après presque dix ans de combats judiciaires et de luttes bureaucratiques, ce chef-d’œuvre a finalement fait son retour dans la Péninsule en mars dernier.
La pugnacité de Dario Del Bufalo se lit sur son visage. Le figer dans le marbre serait une gageure. Sa silhouette râblée se déplace au pas de course. Un éclat de rire rompt brusquement l’air grave d’une tête puissante d’où s’écoule en cascade sa chevelure blond vénitien. Ce qu’on appelle une « gueule ». Celle d’un spadassin du XVIIe siècle brossée à traits vifs sur une toile. Celle d’un empereur romain fichée sur un buste dont la pierre semblerait animée. « Architecte repenti » lit-on simplement sur sa carte de visite. On a pourtant du mal à imaginer que cet impétueux Romain de 63 ans puisse regretter quoi que ce soit. Fils d’une famille qui ne compte plus les architectes et les ingénieurs, il est le rejeton d’une lignée aristocratique qui s’est installée à Rome à la fin du XIIIe siècle. « J’ai terminé avec brio mes études d’architecture mais je m’enorgueillis de ne jamais avoir signé un seul projet d’une nouvelle construction pour ajouter du béton et de la laideur sur cette Terre. Il y a suffisamment de magnifiques bâtiments, le plus souvent abandonnés, qu’il faut restaurer », lance-t-il d’un air faraud.
C’est le cas de la tour médiévale de 45 mètres aux fondations romaines qui se dresse dans son dos. Dario Del Bufalo rachète en 2004 le château de la Cecchignola sur la via Ardeatina presque en périphérie de Rome. Construit sur l’emplacement d’une domus du Ier siècle av. J.-C., le château est cité pour la première fois dans une bulle papale datant de 1217. Son histoire est celle de passages successifs de main en main dont celles de l’illustre cardinal-collectionneur Scipione Caffarelli-Borghese, neveu du pape Paul V, ou encore de la richissime famille patricienne des Torlonia au XIXe siècle. Malgré le faste de ses propriétaires, la demeure est abandonnée au XXe siècle et menace de tomber en ruine. Après quatre ans de travaux, Dario Del Bufalo lui a redonné sa splendeur d’antan. Son projet a reçu l’aval du ministère de la Culture italien mais pas son soutien financier. « J’ai pensé demander des contributions à l’État, mais je me suis rendu compte qu’en ayant recours à ses entreprises le chantier aurait coûté le triple et aurait duré sûrement plus longtemps. » Un franc-parler, aux expressions souvent colorées, dont il use avec la plus grande libéralité en toute occasion. Surtout lorsqu’il s’agit d’authentifier des vestiges ou des œuvres en marbre pour des antiquaires, des salles de vente, des collectionneurs ou encore des musées. De quoi lui attacher de solides sympathies mais aussi de sourdes inimitiés.
Dario Del Bufalo n’est pas seulement un architecte repenti, c’est avant tout l’un des plus grands spécialistes au monde de marbre polychrome . « Je voue un véritable amour à ce matériau, déclare-t-il avec feu. Je pourrais faire n’importe quoi pour un morceau de marbre. » À commencer par faire le tour des pays d’où il était extrait pendant l’Antiquité. De l’Égypte à la Turquie, de la Syrie à l’Inde, ses nombreux voyages n’ont fait qu’approfondir sa passion. Elle naît dans la campagne romaine qu’il arpente enfant. Auguste se vantait d’avoir trouvé une Rome faite de briques et de l’avoir léguée aux générations futures recouverte de marbres étincelants. « Ce sont certains de ces vestiges qui remontent à la surface lorsque les champs sont labourés et brillent à la lumière après un orage, raconte Dario Del Bufalo. J’échangeais des fragments avec mes cousins comme d’autres des figurines Panini de joueurs de football. » Il constate qu’il n’y a rien de plus antinomique que les mots « blanc » et « marbre ». Celui-ci peut être bleu antique, jaune de Numidie, porphyre rouge, serpentinite mouchetée soit vert grenouille, gris mauresque. « La lecture à l’adolescence de Marmora romana, l’ouvrage de référence sur le sujet, publié en 1971 par l’orientaliste et historien des religions Raniero Gnoli, a été un véritable choc pour moi. Je découvrais que ces morceaux dont j’avais commencé la collection provenaient de carrières situées dans le désert tunisien ou égyptien et exploitées à l’époque par des empereurs romains ou des pharaons. Un monde s’offrait à moi, celui de voyages dans l’espace et dans le temps. »
Il se lance bientôt dans ce voyage avec son mentor. En 1988, Dario Del Bufalo a ouvert une galerie de restauration de marbre dans le centre de Rome. Raniero Gnoli en franchit un jour par hasard le seuil. C’est un véritable coup de foudre amical entre les deux hommes qui partent ensemble dans les carrières autour du bassin méditerranéen et jusqu’en Inde. Une dizaine de monographies seront ensuite publiées, dont celle de référence sur le porphyre intitulée Red Imperial Porphyry. Power and Religion, mais aussi Marbres de couleur : Pierres et architecture de l’Antiquité au XVIIIe siècle , traduite en français. Une passion qu’il fait découvrir au grand public également à travers des expositions. « Je suis à l’origine de la toute première sur les marbres antiques polychromes inaugurée aux marchés de Trajan à Rome en 2002 et qui a rencontré un grand succès », rappelle-t-il avec d’autant plus de fierté qu’y figuraient de très nombreuses pièces de sa collection. Celle-ci est composée de plus de quatre cents pièces : fragments de statues, chapiteaux de colonnes ou bustes qui se trouvent au château de la Cecchignola, sa résidence aux allures de cabinet de curiosités. « La civilisation romaine, plus que toute autre, est celle qui a développé l’usage du marbre coloré. Pour ses qualités aussi bien pratiques qu’esthétiques. Jamais un tel raffinement dans l’alliage des marbres n’a ensuite été atteint. Pas même à l’époque baroque », assène Dario Del Bufalo. Un jugement qu’il est prêt à graver dans le marbre. De porphyre évidemment.
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Dario Del Bufalo, le porphyre ne le laisse pas de marbre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°569 du 11 juin 2021, avec le titre suivant : Dario Del Bufalo Le porphyre ne le laisse pas de marbre