PARIS
A priori, il faut vraiment avoir l’esprit dérangé pour comparer une fake news (qu’il vaut mieux nommer en français une « infox »), avec une œuvre d’art.
Une infox se présente comme une vérité objective, un regard extérieur au monde. Une infox, c’est une tentative de faire croire à une opinion publique qu’un fait inexact est vrai, pour servir une cause politique, par exemple pour aider un candidat à une élection, ou pour nuire à un camp lors d’un référendum ; ou encore pour remettre en question une vérité scientifique, pour le plus grand bénéfice d’une Église ou d’un parti. Les infox sont donc le cancer de la démocratie, les ennemis du progrès et du savoir ; et elles apportent le malheur à tous les peuples qui les croient.
Au contraire, une œuvre d’art ne prétend pas représenter la vérité, mais fournir une vision subjective du monde, à partir du regard d’un artiste, d’un auteur, en général identifié, ou au moins revendiqué comme anonyme ; à la différence d’une infox, qui ne peut être crédible que si, justement, elle peut apparaître comme étant un fait, sans auteur, et non une création de l’esprit. Enfin, à la différence d’une infox, le but d’une œuvre d’art n’est pas de tromper, de détourner, de déclencher la colère de ceux qui l’observent, mais d’élever, ou au moins de distraire.
Aussi, pour distinguer une infox d’une œuvre d’art, il faut d’abord chercher à savoir si elle se revendique comme manifestation objective de la vérité ; si c’est le cas, ce n’est pas une œuvre d’art. Il faut ensuite chercher si on peut lui trouver son auteur ; si quelqu’un revendique sa paternité, ce n’est ni une information, ni une infox.
Cependant, infox et œuvre d’art ont aussi bien des points communs : elles racontent toutes les deux le monde, d’une façon subjective, en l’imitant d’assez près sans se confondre avec lui. Une œuvre d’art, comme une infox, est d’ailleurs, toujours, en un certain sens, un mensonge, un travestissement de la réalité. Même quand elle se veut hyperréaliste. Et dans certains cas, une infox peut être aussi considérée comme une œuvre d’art.
Ainsi, par exemple, l’émission de radio annonçant dans le plus grand détail l’arrivée des martiens dans les rues de New York, diffusée en direct aux États-Unis le 30 octobre 1938, était une infox, puisqu’elle sortait tout entière de l’imagination de H. G. Wells, l’auteur du roman La Guerre des mondes, et de celle d’Orson Welles, l’auteur, entre autres chefs-d’œuvre, de Citizen Kane. Cette émission est aujourd’hui unanimement considérée comme une exceptionnelle œuvre d’art, à la fois par le terrifiant récit de l’invasion et par la performance que l’émission a représenté, une fois que les auteurs ont admis que ce qu’ils racontaient n’était pas une manifestation de la vérité. Cette émission était même une « double infox », puisque la presse écrite prétendit qu’elle avait déclenché une panique et des suicides, ce qui est faux, pour discréditer ce nouveau média qui venait les concurrencer. Infox dans l’infox…
Si toute œuvre d’art est par nature une infox, toute infox peut espérer devenir une œuvre d’art, si elle s’assume comme telle, si elle cesse de se revendiquer comme une information, si son but n’est pas de tromper ou de faire le mal, mais de faire réfléchir, de distraire ou au moins de faire rire. À moins que la phrase titre de cet article ne soit elle-même une infox et que, dans ce monde à la dérive, où plus personne n’ose plus affirmer clairement la vérité, la mise en abyme des infox soit la meilleure façon de s’en débarrasser.
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Toute œuvre d’art est une infox. Mais pas réciproquement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°518 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Toute œuvre d’art est une infox. Mais pas réciproquement