Mécénat. Qui connaît Harry Lime (*) ? À peu près personne, sans doute.
Un peu plus nombreux seront ceux qui se souviendront d’Orson Welles dans le film de Carol Reed, Le Troisième Homme. Oui, Lane (*) est le méchant de cette histoire, et Welles s’est fait une joie d’écrire lui-même une partie de ses répliques. La plus célèbre doit être citée intégralement : « En Italie sous les Borgia, c’était la guerre, la terreur, le meurtre et le sang, mais ça a produit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu l’amour fraternel, cinq cents ans de démocratie et de paix – et qu’est-ce que ça a produit ? L’horloge à coucou. ». Les mots sont donc mis dans la bouche d’un antipathique, mais qui sait si Welles ne disait pas tout haut ce qu’une partie de lui-même pensait tout bas ? Lui, et sans doute pas mal d’autres personnes – artistes compris –, jusqu’à aujourd’hui.
On l’a oublié, mais il y a à peine plus d’un siècle, dans un univers où la démocratie républicaine était encore nettement minoritaire à la surface de la terre, l’avis prédominant était que, précisément parce qu’ils avaient pour principe l’égalisation des conditions, les systèmes démocratiques anéantissaient le génie, qui avait besoin pour s’épanouir de la protection d’un mécénat fastueux et éclairé, qu’on opposait volontiers à la vulgarité soit de la « foule », grossière et conformiste, soit de la « bourgeoisie », médiocre et philistine. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, on ne peut pas se contenter du discours vertueux tel qu’il domine aujourd’hui dans les pays occidentaux standards, d’autant plus qu’il est tenu aussi par les représentants officiels de régimes plus problématiques.
La première précaution, comme toujours, est de clarifier les termes. On parle bien ici de démocratie et non pas de république – le Royaume de Suède est une démocratie – et, surtout, on parle de démocratie libérale et non pas de démocratie totalitaire, sinon la cause serait déjà entendue : il suffirait de comparer la création artistique des deux Corées… Encore, à ce stade, faut-il discuter un peu : l’Union soviétique des premières années est déjà un régime totalitaire ; elle demeure compatible avec une grande créativité artistique, pour peu que l’artiste se garde de toute dissidence. Mais, justement, cet entre-deux ne durera pas. Demeure le cas, plus douteux, des artistes sous régime de « démocrature ». Et que penser de l’actuel mécénat princier des pays de la péninsule arabique ? Richard Wagner avait milité dans sa jeunesse à l’extrême gauche. Ça lui passa quand il trouva sur son chemin Louis II de Bavière.
Sans doute la question se pose-t-elle différemment en 2018 qu’elle ne se posait en 1518, où Léonard de Vinci n’avait d’autre liberté que de choisir son protecteur. Si l’on accepte le constat, aujourd’hui encore, d’une inégalité d’encouragement aux arts suivant les pays, sans doute ne peut-on plus l’indexer sur le rapport à la démocratie libérale, mais à la richesse : pour un artiste le pays idéal sera toujours celui qui cumulera, sur le plan culturel, la reconnaissance du rôle capital de l’art pour la société – et, disons-le, pour le Prince, fût-il président de la République, commission d’avances sur recettes ou chef d’entreprise – et, sur le plan économique, par-delà tous les discours de la religion artistique, l’existence d’un riche mécénat, à la fois public et privé. Aujourd’hui la Suisse ne produit plus seulement le cuckoo clock, mais ce n’est plus le pays de montagnards pauvres qu’il était du temps de Michel-Ange…
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Le théorème d’Harry Lime
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Abonnez-vous dès 1 €(*) Contrairement à ce qui a été écrit dans le n°496 du 2 mars 2018, les cinéphiles auront d’eux même corrigé l’erreur, il s’agit d’Harry Lime et non pas d’Harry Lane.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°496 du 2 mars 2018, avec le titre suivant : Le théorème d’Harry Lane