PARIS
Mécénat. Il faut le dire clairement : la dimension la plus remarquable dans l’incendie de Notre-Dame a moins tenu dans l’événement lui-même que dans ses répercussions.
La catastrophe en soi avait tout pour épouvanter, mais rien pour surprendre après – pour ne citer qu’eux – les incendies de la cathédrale de Nantes ou de l’hôtel Lambert, même si l’irruption de ces grandes flambées d’Ancien régime en plein cœur des sociétés modernes inspire des comportements et des commentaires de « sidération ». Le rôle, à juste titre magnifié, des sapeurs-pompiers ne fait, de même, que confirmer la popularité de ces militaires d’un genre particulier, dont le 11-septembre a été l’apogée. L’ampleur de l’émotion qui s’est exprimée, enfin, nous rappelle éloquemment que Notre-Dame superpose trois excellences qui la mettent au-dessus des autres : temple catholique, lieu de mémoire (« monument ») national et lieu de pèlerinage de la religion culturelle, mesurable au nombre des visiteurs piétinants pour y entrer.
Non, la vraie nouveauté est ailleurs : dans la forte et immédiate mobilisation qui, avant même la complète extinction du brasier, a soulevé – à l’étranger, certes, mais d’abord en France, et c’est là le point – une exceptionnelle énergie sociale.
On tient là un joli paradoxe : temple catholique, oui, mais vivante illustration des progrès, dans ce pays, d’une culture, au fond, toute protestante. Je l’ai déjà dit dans ces colonnes, au point d’en faire une marotte : les cultures nationales ont beaucoup à voir avec les cultures religieuses dominantes, qui imprègnent les valeurs des pays considérés, au point qu’on en oublie la source. À cet égard, la France de 2019 reste un vieux pays catholique et, en même temps, un vieux pays d’État : ces deux systèmes centralisés se renforcent l’un l’autre. Une certaine conception de l’économie – dévalorisée –, une certaine conception de la culture – magnifiée –, une certaine conception de la politique – étatisée – en sont issues. Appliquée au domaine de ce que notre époque appelle le « patrimoine » cette convergence explique l’ancienneté, l’ambition et la sophistication de notre politique des monuments historiques et la place centrale qu’y occupe l’État, sa législation, son administration, ses clercs, face à ce que nous appelons aujourd’hui la « société civile », considérée dès l’origine (1830) d’une manière assez condescendante.
Si l’incendie avait eu lieu sous De Gaulle, l’État aurait été seul à la manœuvre. Quel contraste avec le spectacle de ces jours-ci ! La Fondation du Patrimoine – créée sur le modèle du National Trust britannique –, l’appel présidentiel à une souscription nationale, le concours de générosité des grandes fortunes, les promesses de don par milliers des entreprises et des particuliers… Oui : ce vieux pays catholique-étatique devient de plus en plus protestant libéral. Preuve ultime : on n’a pas peur de parler d’argent… « Pas très catholique », tout ça – sauf à se rappeler que les cathédrales ont été élevées par la conjonction des libéralités des clercs et des princes (les « élites ») et des offrandes, ou du travail volontaire, des fidèles (le « peuple »), le tout assorti de quelques amendes et corvées pesant sur les juifs et les hérétiques. À chaque époque sa conception de la « démocratie participative ».
De ce fait, la polémique, prévisible, autour du « déshabiller Pierre pour habiller Paul » devient hors de propos. Dans une société, en effet, de plus en plus individualiste, ce n’est pas en choisissant la « paire de bottes » plutôt que « tout Shakespeare » (en réalité, dans le texte des Démons de Dostoïevski, il s’agit de Pouchkine) qu’on réorientera la générosité collective : on n’obtiendra que le repli sur soi de l’individu culpabilisé, sommé de choisir entre Notre-Dame et Emmaüs, et qui décidera, une bonne fois pour toutes, de ne plus donner pour personne…
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Tous protestants devant Notre-Dame
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°522 du 26 avril 2019, avec le titre suivant : Tous protestants devant Notre-Dame