Après un processus supplémentaire de dix-huit mois, l’International council of museums (Icom) – seule instance professionnelle à l’échelle mondiale regroupant musées et professionnels, créée en 1946 – est enfin parvenu à une nouvelle définition du « musée ».
Le champ couvert est immense puisqu’il ne s’agit pas seulement des musées d’art mais de tous les musées, quel que soit leur secteur d’activité et quelle que soit leur organisation, publique ou privée. L’écrasante majorité en faveur du texte (92,41 %) obtenue à Prague, le 24 août, permet à l’organisation de relever la tête après le fiasco de Kyoto en 2019. Lors de cette assemblée générale, l’Icom avait donné l’image caricaturale d’une association s’embourbant dans des débats ésotériques et incapable d’avancer sur un chantier ouvert depuis… 2015 : la réécriture d’une définition datant de 2007. 70,41 % des membres avaient refusé de participer au vote. D’un côté, les tenants (des délégués anglo-saxons, d’Europe du Nord, d’Afrique, d’Asie) d’un rôle militant à assigner au musée pour qu’il transforme la société en devenant « un lieu de démocratisation inclusif et polyphonique […] participatif et transparent travaillant en collaboration active et pour diverses communautés […] pour contribuer à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire ». De l’autre, ceux (surtout des Européens) refusant que des fonctions traditionnelles – acquérir, conserver, étudier – ne passent à la trappe.
La nouvelle définition, presque deux fois plus longue que la précédente (81 mots, contre 47) est bien sûr un compromis, mais elle prend largement en compte les revendications des premiers et leur vocabulaire, même si elle n’inscrit pas les termes de décolonisation et de rétrocession, comme le souhaitaient des délégués africains. Le musée « n’acquiert » plus le patrimoine, il le « recherche », le « collecte ». Il ne devient donc plus propriétaire par achat, mais recueille des dons. Cet affaiblissement d’une mission fondamentale va heurter, mais ne reflète-t-il pas la réalité, celle de la modicité des budgets d’acquisitions des institutions publiques compensée par l’importance croissante des donations et du mécénat ?
Dans son acception de 2007, le musée était simplement « ouvert au public ». Aujourd’hui, cela ne suffit plus. Il doit aussi être « inclusif », favoriser « la diversité », l’accueil des exclus. C’est une reconnaissance envers le travail que mènent les services des publics des musées, certains depuis des années pied à pied. Mais le vocabulaire employé par l’Icom, comme celui de sa traduction officielle en français, reflète une vision anglophone de la société. Le musée ne doit plus agir verticalement – tant mieux –, mais « avec la participation des communautés », vocable largement employé aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais discuté chez nous. Il doit favoriser bien sûr « la durabilité », « fonctionner de manière éthique ». On peut ironiser, mais c’est mieux de l’inscrire.
Une autre réécriture, qui marque également cette volonté de désacraliser le musée, est beaucoup plus discutable. En 2007, le musée devait « étudier » le patrimoine. Le mot a disparu, désormais il « l’interprète ». Une interprétation suppose une étude préalable, mais pourquoi proscrire le terme « étudier » ? Parce que l’étude d’un objet ou d’une œuvre donnerait au « sachant » la certitude de parvenir à une connaissance objective et lui octroierait un pouvoir sur l’inculte ? Au nom de cette volonté horizontale de déhiérarchiser le musée, la nouvelle définition déprécie le travail historique et scientifique, et valorise la subjectivité de l’interprétation. Enfin, étrangement, le texte adopté est muet sur le numérique, alors que la pandémie a accru son usage dans la vie des musées et a décuplé les questions à son sujet. Soyons sans crainte, l’Icom a d’autres assemblées générales devant lui.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Musée : étudier ou interpréter l’œuvre ?