Les haras et dépôts d’étalons, rétablis le 4 juillet 1806 par le décret de Saint-Cloud, eurent pour fonction évidente de satisfaire aux besoins d’un empire faisant une grande consommation d’équidés.
L’enjeu, toutefois, dépassait la seule fourniture militaire et les haras menèrent une action bien plus ambitieuse. Outre les avancées institutionnelles qu’ils permirent à l’administration et les fruits qu’ils apportèrent à l’élevage, les haras édifièrent – au sens propre – un œuvre remarquable.
Solennité et sobriété
La nécessité d’abriter une telle entreprise étatique d’accroissement et d’amélioration du cheptel équin sur l’ensemble du territoire conduisit à l’élaboration de ce que l’on peut définir comme une « architecture publique équestre ». La conjonction de ces deux qualificatifs fait toute la particularité de l’ouvrage bâti des haras. Bien loin d’être une invention du premier Empire, l’architecture équestre était l’héritière d’une longue tradition nobiliaire et princière. L’innovation a donc résidé ailleurs, dans le fait de revêtir des édifices à vocation agricole d’une fonction de représentation de l’État post-révolutionnaire – ce qui relevait de logiques originales, bien différentes de celles régissant une architecture destinée à souligner la magnificence d’un individu ou d’un règne. Ainsi, aux côtés des écuries liées à la personne de l’empereur qui ne renoncèrent pas aux exigences de faste associées à tout monarque, on assista à l’érection d’une nouvelle catégorie d’écuries dont l’enveloppe matérielle devait exprimer une symbolique inédite : forte des leçons révolutionnaires, la puissance publique avait entendu que l’ostentation était ambivalente. Moyen de signifier et d’asseoir le pouvoir, elle pouvait également provoquer une grogne périlleuse ; partant, il était indispensable que les édifices publics, tout en gardant un caractère respectable, fissent montre d’économie. Ce fut donc sur ces deux piliers, solennité et sobriété, que l’on échafauda l’architecture publique du début du XIXe siècle. Le Conseil des bâtiments civils, créé en 1795, fut précisément chargé de les mettre « en harmonie avec les données d’une ère toute nouvelle » (1). Ce cénacle composé d’éminents architectes parisiens exerça un contrôle a priori des constructions publiques en se prononçant sur l’utilité et la qualité des projets qui lui étaient soumis. Les haras y furent représentés dès avant 1806, puisque des avis furent émis sur les établissements qui préexistaient au décret de Saint-Cloud (Rosières-aux-Salines, Le Pin, Pompadour). Les nouveaux besoins en architecture équestre induits par ce rétablissement donnèrent lieu à deux phénomènes notables : premièrement, l’instauration d’un dialogue entre architectes et inspecteurs généraux des Haras visant à cerner au mieux les spécificités techniques de cette architecture singulière et, deuxièmement, une spécialisation au sein du Conseil, où le nom d’Alexandre-Théodore Brongniart (1739-1913) se démarqua nettement en tant que rapporteur. Celui-ci ne se contenta pas d’évaluer des cas particuliers : la séance du 30 novembre 1809 vit la définition de principes généraux et la conception de trois modèles d’écuries. Entre 1795 et 1830, ce furent près de deux cents dossiers d’architecture de haras qui furent examinés, concernant quarante-deux localités.
À l’ombre de l’abbaye
Si Cluny fut choisie pour recevoir un dépôt d’étalons, c’est indéniablement en raison des ressources laissées vacantes par la nationalisation des biens du clergé et la dissolution des communautés religieuses. L’époque était à la réaffectation : d’une part, la Révolution avait privé d’usage un bâti considérable, d’autre part, la société nouvelle réclamait des lieux nouveaux. Les reconversions furent légion pour répondre à l’industrialisation naissante et aux nécessités de concentration humaine en casernes, hôpitaux, prisons. C’est tout naturellement que nombre de haras, nécessitant de grands espaces, trouvèrent également place dans les anciens ensembles monastiques. Or, à Cluny, la dégradation rapide de l’église abbatiale après son achat par des entrepreneurs rendit impossible sa transformation en écurie, pourtant sérieusement envisagée par un notable local. Le dépôt connut alors une phase de construction laborieuse qui lia inextricablement son destin à celui de l’abbaye et posa avec acuité, dès le début du XIXe siècle et avant même la création de l’Inspection des monuments historiques, une question éminemment patrimoniale.
(1) Charles GOURLIER, Notice historique sur le service des travaux des bâtiments civils à Paris et dans les départements depuis la création de ce service en l’an IV jusqu’en 1895, Paris, Impr. nationale, 1895, p. 1.
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L’œuvre des haras, entre amélioration animale et création architecturale : l’implantation du dépôt d’étalons de Cluny (premier quart du XIXe siècle)
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Abonnez-vous dès 1 €Le haras de Cluny, folio extrait de l'album de Marie-Louise Gautheron nièce de Barat, collection Médiathèque de Nevers. © Médiathèque de Nevers.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : L’œuvre des haras, entre amélioration animale et création architecturale : l’implantation du dépôt d’étalons de Cluny (premier quart du XIXe siècle)