Voici le livre d’un jeune chercheur qui va bousculer les idées reçues sur les pays du Golfe. Si les grands projets de musée au Qatar et surtout à Abou Dhabi ont attiré l’attention internationale sur les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers, ils ne font plus vraiment polémique aujourd’hui.
GEOPOLITIQUE - Le discours, jusque dans ces colonnes, tend à voir dans ces institutions des leviers de démocratisation. Or c’est une autre réalité qui se fait jour. Selon Alexandre Kazerouni, depuis la guerre du Koweït, les familles régnantes qui ont accaparé les gisements de pétrole et de gaz se sont tournées vers les puissances occidentales pour assurer leur protection tout en marginalisant leurs classes moyennes, composées de fonctionnaires susceptibles de les contester. Tout cela dans le contexte de l’activisme régional des différents islamismes radicaux.
D’après le chercheur, ce ne sont plus les fonctionnaires nationaux qui pilotent les projets de musées, contrairement aux premiers musées issus de l’indépendance dans les années 1970, mais des agences dirigées par les cheiks recrutant à grands frais des experts occidentaux. Des expatriés qui présentent le double mérite, aux yeux de leurs employeurs, d’être obéissants et peu informés, voire indifférents à la situation locale, et de connecter les familles régnantes avec les élites culturelles, médiatiques et universitaires d’Europe ou d’Amérique. Dès lors, c’est ici nous qui le disons, il ne faut pas s’étonner d’une certaine complaisance des uns et des autres à l’égard de « ces princes éclairés qui ouvrent leur pays » au prix de contrats fort bien rémunérés.
Mais comment expliquer alors que, sur le district culturel de l’île de Saadiyat à Abou Dhabi, seul le Louvre-Abou Dhabi commence à sortir du sable alors que cinq projets pharaoniques avaient été annoncés en 2006 ? Selon le chercheur à Normale Sup et proche de Gilles Kepel, les cheiks considèrent qu’ils captent plus l’attention de l’Occident lorsque le musée est en phase de projet qu’une fois ouvert. Un argument qui semble de bon sens.
Le Louvre et l’Agence France-Muséums sont en première ligne dans cette affaire. On tendra soigneusement l’oreille vers leurs dirigeants pendant les festivités d’ouverture du bâtiment de Jean Nouvel dont la date d’inauguration devrait être prochainement annoncée. Entre le cynisme et l’hypocrisie, le réalisme dans les relations internationales n’interdit pas une certaine liberté de parole.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les mirages des musées du désert
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Alexandre Kazerouni. © Photo : Livia Saavedra pour Le Journal des Arts.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Les mirages des musées du désert