Dans Le Journal des Arts du 3 mars, Jean-Christophe Castelain saluait comme il convenait « une première cartographie des festivals », rendue possible par la publication récente d’une étude du ministère de la Culture.
Celle-ci mettait en lumière, par contraste, « le manque de données solides » sur cet objet pourtant aujourd’hui omniprésent dans les pratiques culturelles des sociétés modernes. On ne peut que confirmer ce constat, qui s’étend de la géographie à l’histoire. Car si, prise séparément, chacune de ces manifestations peut, dès que possible, revendiquer un palmarès, à peu près personne ne s’est attelé à une histoire générale de la forme festival, alors même qu’une telle entreprise dit beaucoup sur les valeurs et sur les imaginaires des sociétés modernes.
« Moderne » est le mot dès lors qu’on découvre – fait peu connu – que c’est dans l’Angleterre du XVIIIe siècle – berceau de toutes les modernités – qu’a fleuri la formule, réservée dans un premier temps aux compétitions musicales entre cathédrales anglicanes – dont le modèle demeure encore aujourd’hui le Three Choirs Festival de Gloucester, Hereford et Worcester. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si le premier usage en français de l’anglicisme « festival » se situe à Lille et sous la Restauration, régime dont les élites avaient rapporté d’outre-Manche des pratiques nouvelles, aux côtés du comice agricole et du Parlement bicaméral.
Le programme de ce « Festival du Nord », associant musique symphonique et lyrique, ressemblait beaucoup à celui du Three Choirs : retenons à ce stade l’importance du vecteur musical comme armature de ce plaisir festif d’un genre nouveau. Cette importance est confirmée au cœur du XIXe siècle quand, à partir de 1876, Richard Wagner édifie de toutes pièces à Bayreuth un « festspiel » autour de son œuvre et l’on n’est pas autrement surpris de découvrir que le festival français qui revendique aujourd’hui la plus haute antiquité – celui d’Orange – est un festival musical.
Mais on a déjà compris qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle musique : des trois chœurs anglicans aux « chorégies » d’Orange en passant par le Bayreuther Festspiele, c’est la musique chantée qui prédomine. À la même époque, la plus grande organisation de musique populaire de l’histoire française, le « mouvement orphéonique », mettait de même en avant moins l’instrumental que le choral.
La clé de ce choix est proprement politique : dans les pays de culture germanique, le festspiel est étroitement associé à une démarche patriotique (modèle allemand) et démocratique (modèle suisse) où, insensiblement, le théâtral s’impose au côté du musical. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le mythe de plusieurs des grands festivals les structure autour d’un discours d’« éducation populaire » (formule en vogue après la Seconde Guerre mondiale), ce qu’illustrent brillamment le destin du Festival d’Avignon et la figure tutélaire de Jean Vilar.
Au fond, la magie festivalière est la magie du mot qui y préside. Tous les historiens, tous les anthropologues confirment qu’aucune société ne peut faire l’économie du festif : en passant de la fête traditionnelle au festival, la société moderne a fini par faire du festif une économie. Partie de la musique chorale, la formule a rallié à son panache le cinéma et la photographie, l’histoire et la bande dessinée : on fait festival de tout.
Tout est dit quand on examine de près les raisons du succès des festivals les plus fréquentés dans leurs domaines respectifs : un enracinement local bien repéré, associé à de non moins claires ramifications nationales, internationales, voire mondiales. En France, c’est le secret d’itinéraires aussi différents, en apparence, que ceux d’Arles ou d’Angoulême, de Marciac ou de Blois, de Lorient ou d’Aix-en-Provence. Miguel Torga l’avait dit, comme on sait, il y a trente ans : « L’universel, c’est le local moins les murs. »
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Le local moins les murs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°607 du 17 mars 2023, avec le titre suivant : Le local moins les murs