Art contemporain

Le casque audio de… Nazanin Pouyandeh

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 27 juin 2019 - 607 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... le casque audio de Nazanin Pouyandeh.

Fétiche -  Nous avons rendez-vous dans sa maison-atelier à Arcueil, un ancien entrepôt de briques refait à neuf, abritant désormais appartements et studios d’artistes. À droite de la porte d’entrée se trouve un petit espace au milieu duquel trône un chevalet présentant deux portraits en cours d’exécution. La pièce se prolonge, en contrebas, par une cuisine avec sa longue table de bois. Peu d’objets, seuls trois tapis iraniens et un tissu en cachemire recouvrant un coffre rappellent les origines moyen-orientales de l’artiste. Cette grande brune, au sourire franc et éclatant, casque audio autour du cou, possède une énergie vitale que l’on retrouve dans ses œuvres, même si celles-ci dégagent, par ailleurs, une atmosphère trouble : mystérieux rituels pratiqués au cœur de sombres forêts, scènes de guerre sur fond de décors exotiques, épisodes mythiques revisités à l’heure des réseaux sociaux, thèmes bibliques transposés dans d’autres espaces-temps, paysages en ruine théâtres de cérémonies érotiques mettant en scène des jeunes filles et des jeunes gens nus, et parfois même quelques animaux sauvages de passage. Bref, un kaléidoscope d’images flashs, de visions chocs, de réminiscences fantasmatiques, d’allers-retours entre réel et imaginaire. Un univers onirique qui vire parfois au cauchemar. Une peinture qui franchit les portes de la raison et qu’on serait tenté de rapprocher du Lowbrow Art, un mouvement pop-surréaliste né en Californie à la fin des années 1970. Mais l’artiste a grandi en Iran, pays riche d’une longue culture littéraire et picturale, marquée non seulement par les enluminures, mais aussi par l’art qadjar, lequel, au service de la dynastie Khan (1786-1925), proposait une figuration influencée par l’Occident, mais prenant volontiers des libertés avec le réalisme. À la question quel objet fétiche ? Nazanin hésite. Puis, sa réponse tombe nette : « Pour tout dire, je ne m’attache pas trop aux objets. À 18 ans, en 1998, suite à l’assassinat de mon père [un] intellectuel et traducteur de français] par la police secrète des mollahs, j’ai quitté précipitamment mon pays en laissant tout ce à quoi je tenais derrière moi. J’ai profité de l’obtention d’une bourse d’un an à Paris pour apprendre le français, et l’année suivante, comme le dessin était ma passion depuis l’enfance, je me suis inscrite aux Beaux-Arts. J’y ai rejoint l’atelier de Pat Andrea où j’ai transformé les collages que je commençais à produire en peintures. Ici, je n’arrêtais pas de faire des découpages, car j’étais fascinée par l’extraordinaire profusion d’images, alors qu’en Iran seuls les portraits officiels étaient autorisés. Et je me suis mise à imaginer des compositions extraordinaires mêlant sans hiérarchie des visuels de toutes origines (publicité, mode, actualité, sciences, etc.). J’y superposais des photos d’amis dénudés que je mettais en scène. » Pas d’attachement particulier pour un objet, vraiment ? « Si, mon casque pour écouter de la musique. Il m’est indispensable quand je peins. La musique que j’écoute est à l’image de mes collages : un patchwork de jazz, rock, musique classique, ou électro qui peut se caler sur mon rythme cardiaque. Écouter de la musique m’aide à me mettre dans un état méditatif que je peux prolonger hors de l’atelier. J’ai besoin de cette bulle pour créer : je commence un tableau sans vraiment savoir où il va m’entraîner. Mes compositions ont l’air très préparées, mais il y a une part d’improvisation. » À l’évidence, l’imaginaire de Nazanin Pouyandeh bat la chamade, bouillonnant sous son casque. Et semble passer du rêve au drame sans transition. Et, pourtant, elle affirme : « Peindre pour moi reste un grand bonheur. C’est une fête, et la musique participe de cette joie ! »

« Nazanin Pouyandeh, la tentation »,
jusqu’au 3 novembre 2019. Suquet des Art(iste)s, résidence d’artistes, 7, rue Saint-Dizier, Cannes (06). Tous les jours de 10 h à 18 h. Entrée libre, www.cannes.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°725 du 1 juillet 2019, avec le titre suivant : Le casque audio de… Nazanin Pouyandeh

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