Société

L’Amérique puritaine se revigore

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2025 - 584 mots

Inquiète de la multiplication de cas de censure dans son pays depuis quelques mois contre des artistes, des œuvres ou des expositions, l’Association of Art Museum Directors (AAMD) a voulu procéder à une enquête sur ce sujet auprès de ses membres.

L’AAMD, qui se prévaut de regrouper 220 musées, dont les plus représentatifs aux États-Unis, a reçu 43 % de réponses des personnes sollicitées. L’enquête s’est déroulée l’été dernier, avant donc la victoire écrasante de Donald Trump aux élections de novembre. 75 % des directeurs ayant répondu précisaient que la censure était déjà « un certain problème », 55 % d’entre eux qu’elle était « aujourd’hui un problème beaucoup plus important qu’il y a dix ans ». 41 % craignaient la pression d’élus Républicains, 3 % celle de Démocrates. 28 % pensaient qu’ils recevraient des protestations si leur institution organisait une exposition critiquant l’ancien président à l’époque, Donald Trump, moins, mais quand même ; 21% si elle ciblait le président Joe Biden. 18 % estimaient qu’exposer un artiste palestinien leur vaudrait des protestations. 13 % s’il s’agissait d’un Israélien. Mais surtout 30 % mentionnaient qu’exposer des œuvres heurtant le christianisme déclencherait un blâme. À ceux qui croyaient que l’Amérique puritaine, pudibonde, voire hypocrite stigmatisant le nu et la perversion sexuelle avait reculé, les réponses des directeurs de musées opposent un démenti cinglant. Et l’actualité vient de le marquer.

En effet, début janvier, quatorze jours avant l’investiture de Donald Trump, des policiers d’un État gouverné par des élus Républicains, le Texas, ont saisi cinq œuvres de Sally Mann présentées au Modern Art Museum de Fort Worth. Ils ont pris leur temps puisque l’exposition était ouverte depuis le 17 novembre. Le musée avait pourtant affiché les avertissements de rigueur, « œuvres aux contenus sensibles ». Des photographies de ses trois très jeunes enfants nus, prises ou mises en scène par Sally Mann dans une écriture perturbante, à la fois par son sujet et par sa forme académique. Les élus du Texas les ont qualifiées de « pédopornographiques ». Déjà dans les années quatre-vingt-dix, après leurs publications, de telles accusations lui avaient été adressées. Mais depuis, comme l’a déclaré le musée de Fort Worth à la presse, ces œuvres ont été largement publiées et exposées. Elles peuvent même être vues online sur les sites de célèbres institutions américaines. Néanmoins, une enquête de police a été diligentée. Pourquoi relancer une telle accusation ? La police ne le dit pas. Pour cette raison sans doute, sur son site Internet, le musée n’informe ni de cette saisie ni de cette enquête. Il est muet. La page Sally Mann est restée à l’identique, comme aux premiers jours de l’exposition, affirmant – curieusement à lire aujourd’hui – que « la controverse instinctive d’autrefois s’est estompée ». Étrange candeur. Car cette nouvelle offensive rappelle celle des années quatre-vingt-dix, les « Culture Wars » (guerres culturelles), où les extrémistes conservateurs combattaient, au nom de la défense du christianisme, la nudité, les mises en scène sexuelles. Accusant l’agence fédérale, National Endowment for the Arts (NEA) de subventionner les expositions d’artistes comme Robert Mapplethorpe (1946-1989), Andres Serrano (né en 1950), ils avaient pu obtenir une baisse significative de la subvention du NEA, chutant à 99 M$ en 1996, contre 170 M$ deux ans auparavant.

In fine, l’AAMD s’alarme, que 90 % des directeurs interrogés reconnaissent n’avoir pas de charte contre la censure. « Un tel document pourrait prévenir de tels actes », préconise l’association. Peut-être ? Mais plutôt qu’encourager un étage bureaucratique supplémentaire, chaque cas de censure étant bien différent d’un autre, l’AAMD n’aurait-elle pas dû mettre en évidence, proclamer la responsabilité, le courage d’un directeur contre la censure.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°648 du 31 janvier 2025, avec le titre suivant : L’Amérique puritaine se revigore

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