galerie marchande - Ce qui distingue un commerce d’un autre, c’est l’objet de son négoce : aux primeurs les fruits et les légumes, aux fleuristes les plantes et les fleurs, aux chocolatiers les chocolats et les confiseries, aux librairies les livres, aux galeries et antiquaires les œuvres d’art : peintures, sculptures, éditions, photographies… jusqu’aux œuvres numériques certifiées – c’est à la mode – NFT. Les premiers ont été décrétés « commerces essentiels » le 19 mars. Les galeries et les antiquaires n’ont pas eu ce privilège. Ils ont donc rouspété sur les réseaux sociaux, jugeant la situation d’autant plus injuste que leurs meilleures ennemies, les maisons de ventes aux enchères, avaient le droit de rester ouvertes – « dans le strict respect des gestes barrières et des précautions sanitaires habituelles », selon la formule désormais consacrée. Le 22 mars, la présidente du Syndicat national des antiquaires (SNA, 250 adhérents) a envoyé une lettre à la ministre de la Culture pour l’alerter sur « la situation catastrophique des galeries ». Lettre suivie, le 25 mars, par un recours en référé-liberté déposé auprès du Conseil d’État par le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA, 279 adhérents), tandis qu’une poignée de galeries faisaient acte de résistance en transformant leur espace en librairie. Ce troisième confinement des galeries arrive après une année 2020 difficile. En février, un rapport du CPGA révélait que, pour 78 % des galeries, le chiffre d’affaires avait nettement chuté en 2020, jusqu’à plus de 50 % pour un tiers des enseignes, « petites » ou « grandes ». Les causes sont plurielles : les confinements successifs, l’arrêt des foires et des salons, la raréfaction des collectionneurs étrangers, mais aussi le retard pris par les intéressées dans leur développement numérique.
Si toutes les galeries ne jouent pas le même rôle, selon qu’elles interviennent sur le « premier » ou le « second » marché (les œuvres sorties de l’atelier ou celles déjà passées en vente), selon aussi qu’elles défendent dans le temps leurs artistes (les galeries dites « de promotion ») ou leur servent de « tremplin » (les galeries associatives, par exemple), toutes participent à l’écosystème de l’art, de la survie quotidienne des plasticiens à l’économie artistique des musées. Dans sa passionnante histoire de l’art de la période 1848-1970, dont le troisième volet paraît aujourd’hui aux éditions du CNRS [Naissance de l’art contemporain. Une histoire mondiale, 1945-1970], Béatrice Joyeux-Prunel montre le rôle important joué par les galeries dans la construction des avant-gardes : leur découverte des artistes, leurs stratégies commerciales pour les faire ensuite connaître, leur rôle de médiateur auprès des musées, des critiques et des collectionneurs, mais aussi auprès de la recherche – combien de redécouvertes sont faites chaque année grâce au marché, et combien de nouvelles monographies éditées ? Si l’on voulait simplifier, nous pourrions dire que, depuis Paul Durand-Ruel, de l’impressionnisme au postmodernisme, le récit de l’histoire de l’art ne serait pas le même sans le Travail Des Galeristes.
Galerie culturelle - Mais ce n’est pas leur seule vocation. Une autre, tout aussi essentielle, se dessine depuis la fermeture fin octobre des musées, des Frac et des centres d’art : leur dimension culturelle. « Dernier bastion où il était encore possible de voir des œuvres sans le filtre d’un écran », écrit Le Monde, les galeries sont en effet redevenues un lieu où l’on peut voir gratuitement de l’art, découvrir de jeunes artistes ou revoir des monstres sacrés. Alors que le public les avait parfois désertées, il a retrouvé leur chemin, frustré de ne pas pouvoir accéder aux musées. Résultat, leur fréquentation a explosé. En février, on faisait la queue devant la Galerie Lelong & Co. pour visiter l’exposition de David Hockney, tandis que, début mars, Emmanuel Perrotin déclarait sur Europe 1 avoir accueilli jusqu’à 1 400 personnes le samedi – « dans le strict respect des gestes barrières et des précautions sanitaires habituelles », comme il se doit. C’est une bonne nouvelle. Certes, cela génère des problèmes nouveaux pour le personnel des galeries, d’accueil et de médiation notamment. Sans compter qu’un visiteur ne fait pas forcément un acheteur, même si de futurs collectionneurs se trouvent parmi ces nouveaux publics. « Certaines personnes peuvent se rendre compte que des artistes que nous représentons ne sont pas si inaccessibles », remarque en effet Perrotin. En attendant, ce dernier se réjouit avec ses confrères de re(ce)voir du public. Galeries et antiquaires confirment ainsi leur vocation de commerces essentiels de proximité où voir de l’art. C’est bien l’une des seules choses positives de la pandémie.
Chères lectrices, chers lecteurs, la fermeture prolongée des lieux d’art et de patrimoine et le nouveau confinement nous contraignent à vous proposer, ce mois-ci, un numéro double « avril – mai ». Nous ne désespérons toutefois pas de reparaître plus tôt si la situation le permet, et si le gouvernement décide, enfin, de rouvrir les lieux d’expositions. D’ici à ce prochain numéro, notre passion et notre volonté de la partager avec vous demeurent intactes. À très bientôt donc. Portez-vous bien.
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Galerie marchande, galerie culturelle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : galerie marchande Galerie culturelle