Église - Soft power

Notre-Dame et le « soft power »

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 26 novembre 2024 - 588 mots

« La France est là ! » C’est par cette déclaration volontariste et décomplexée que la diplomatie française a annoncé sa – forte – présence à la Semaine de l’art de Shanghaï (du 31 octobre au 11 novembre), point d’orgue de l’Année franco-chinoise du tourisme culturel et du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine.

La France y a fait sans doute ce qu’elle sait faire de mieux en matière de rayonnement et d’influence à l’international : son soft power culturel. Cette notion, théorisée en 2002 par le politologue américain Joseph Nye (The Paradox of American Power), s’oppose au hard power (militaire, politique, économique). Évidemment, c’est l’association des deux pouvoirs – celui de contraindre et celui d’influencer – qui donne toute son efficacité à une politique étrangère. Les États-Unis, Hollywood en tête, ont compris dès l’après-guerre l’intérêt du pouvoir d’influence pour asseoir leur hégémonie. Le cinéma a été un fer de lance, mais pas seulement. L’art contemporain, véhicule de valeurs sociétales, a aussi eu son importance.

Un épisode, dont on ne connaît pas encore tous les secrets, vient le rappeler. En 1964, un peintre américain alors peu connu, Robert Rauschenberg, remporte à la stupéfaction générale le prix de peinture de la Biennale de Venise – une première pour un artiste américain. En cette période de guerre froide, et alors qu’il faut montrer au monde entier les valeurs d’un art américain libre et innovant en opposition au réalisme soviétique contrôlé et rigide, faire gagner Rauschenberg est un coup de maître, dont l’instigateur serait la CIA, comme le suggère l’intéressant documentaire La Face cachée de l’art américain, de François Lévy-Kuentz (2019).

La France, assimilée dans le monde entier à un pays de culture, a déjà largement joué cette carte du soft power, elle qui a amoindri depuis longtemps bon nombre de ses outils de hard power. Ses institutions s’exportent bien – le Louvre à Abou Dhabi, le Centre Pompidou (Málaga, Kanal-Bruxelles, Shanghaï West Bund, puis Séoul en 2026 et New Jersey City en 2027) –, et ses grands musées font tourner leurs collections, ou leurs expositions.

2024 restera à cet égard un moment faste pour l’exportation de la culture française. Deux événements majeurs à portée internationale ont en effet eu lieu, ou sont sur le point de se produire. Le premier vient immédiatement à l’esprit : les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Et c’est efficace ! On estime que les cérémonies olympiques ont été streamées plus de 800 milliards de fois en Chine… Des chiffres vertigineux, qui font de l’événement une vitrine tant du patrimoine parisien – Paris est la première destination touristique au monde – que de la créativité française, dont la presse internationale a salué l’audace et la qualité.

Le second est la réouverture de Notre-Dame de Paris, que ce numéro de L’Œil célèbre sous le regard des arts. La réouverture de la cathédrale est un événement exceptionnel, à la hauteur de l’émoi suscité dans le monde entier il y a cinq ans par un incendie dévastateur qui aurait pu menacer l’existence même de l’édifice. La reconstruction, accélérée par un afflux de dons du monde entier, a été rapide et experte. Et cette réhabilitation patrimoniale s’exporte, d’une certaine manière. « Notre-Dame de Paris », exposition en réalité augmentée soutenue par L’Oréal, a été présentée au Musée national de Chine, à Pékin. Elle a voyagé dans quatorze grandes villes à travers le monde, notamment Washington, La Nouvelle-Orléans, Dresde, Dubaï, Paris, Shanghaï, Séoul, Tokyo et Hongkong. Quand Notre-Dame devient un outil d’influence…
 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : Notre-Dame et le « soft power »

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