En 1964, Martial Raysse réalise Made in Japan – La Grande Odalisque, aujourd’hui conservée au Musée national d’art moderne-Centre Pompidou à Paris.
S’emparant du chef-d’œuvre peint par Ingres cent cinquante ans auparavant, il le reproduit par sérigraphie, le découpe, le restructure, le bombarde de couleurs fluorescentes, colle de petits objets à sa surface, le transfigure autant qu’il le dénature tout en le gardant identifiable. Citer à des fins de métamorphose les œuvres de maîtres apparaît alors au jeune artiste comme le moyen le plus efficace de se libérer de « l’encombrant héritage culturel » pour accéder à un « monde neuf ». À travers ce geste iconoclaste, pied de nez au passé pour mieux être en phase avec son temps, se lit en filigrane un véritable amour pour l’histoire de l’art, un désir de redécouvrir l’œuvre élue comme source, de la faire sienne.
Parodie et reproductibilité
En transformant une œuvre singulière à la grandeur reconnue par tous et en faisant preuve d’une forme d’irrévérence humoristique non dénuée d’admiration, la démarche de Martial Raysse emprunte ses traits à la parodie. Comme en témoignent les réalisations d’Andy Warhol d’après La Joconde en 1963, celles de Roy Lichtenstein d’après des toiles de Picasso ou de Monet ou encore celles d’Alain Jacquet d’après Botticelli, cette pratique est loin d’être un acte isolé dans son époque. Dans un contexte marqué par l’avènement de la société de consommation, la parodie permet aux artistes de soumettre à leur analyse, avec lucidité, ironie et inventivité, les changements majeurs liés au statut de l’œuvre d’art. Faisant de l’histoire de l’art un répertoire accessible dans lequel puiser à loisir pour créer à partir de, et mêlant dans un même flux l’iconographie muséale à celle de la publicité, des affiches de cinéma ou de la bande dessinée, la reproductibilité de masse offre des conditions plus que propices au jeu parodique.
Si la période des années 1960 est fructueuse, il est possible néanmoins d’observer l’omniprésence de la parodie dans un contexte plus élargi, de la naissance des salons caricaturaux au milieu du XIXe siècle aux manifestations les plus actuelles, en passant par les avant-gardes historiques du début du XXe siècle. L’exemple des transformations iconoclastes et comiques subies par la Joconde est à ce titre éclairant : fumant la pipe chez les Incohérents en 1887, moustachue et barbue chez Marcel Duchamp en 1919 pour son mythique L.H.O.O.Q., ou vomissant des macaronis chez Peter Saul en 1995, Mona Lisa est exposée à tous les sévices. La parodie s’impose comme un terreau favorisant une créativité explosive, déployant sous nos yeux un champ immensément riche.
De la plaisanterie inoffensive à l’attaque iconoclaste, de la reformulation formelle à la critique satirique, du trait d’esprit à la grossièreté carnavalesque, l’éventail des possibles parodiques est large. Mais la parodie est également une pratique réflexive et auto-réflexive. Son fonctionnement est bien souvent mis au profit d’une mise en cause institutionnelle et d’une dénudation du faire artistique lui-même. Recourant au second degré, les artistes font l’autopsie de l’art et de leur métier, les assassinant parfois avec allégresse comme pour mieux leur offrir une vie nouvelle. Souvent vue, parfois à raison, comme un procédé répétitif, gratuit et facile, la parodie se révèle investie d’enjeux essentiels.
En livrant la notion à un examen terminologique et taxinomique, son paradoxe constitutif peut être mis en lumière : née d’une relation complexe avec une source sur laquelle un artiste ne veut ou ne peut visiblement faire l’impasse, toute parodie consiste structurellement en une incorporation et une mise à distance. Loin de chercher à trancher, à rattacher la parodie à l’hommage ou à la destitution, il apparaît nécessaire de partir des œuvres, de les analyser dans leurs fécondes ambivalences. Car le goût des artistes pour la parodie semble précisément provenir de cette résistance aux classifications et raccourcis, leur permettant de se situer entre le mauvais genre et la pratique cultivée, le dépoussiérage radical et le repli nostalgique, la rupture et la continuité.
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De la parodie dans l'art, des années 1960 à nos jours
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Abonnez-vous dès 1 €Andy Warhol, Colored Mona Lisa, 1963, encre sérigraphique et graphite sur toile, 319,7 x 208,6 cm. © Christie's Images Ltd.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : De la parodie dans l'art, des anneÌes 1960 à nos jours