Fondée en 1101, l’abbaye de Fontevraud est, avec ses 13 hectares, la plus vaste cité monastique héritée du Moyen Âge. Dans le chœur silencieux de son église abbatiale qui marque l’apogée de l’art roman, derrière les gisants des Plantagenêts, se trouve la tombe de son fondateur : Robert d’Arbrissel (1045-1117). On peut voir son visage dans l’ancien chauffoir – pièce chauffée où les moniales se retrouvaient pour s’adonner à des travaux de broderie, devenue aujourd’hui Salle du Trésor –, du moins tel qu’il fut représenté au XVIIe siècle, quelque cinq siècles après sa mort, par un gisant en marbre qui fut sans doute vandalisé à la Révolution. La tombe de ce moine qui critiquait le train de vie opulent de l’Église et s’était inspiré de la règle bénédictine pour organiser à Fontevraud une vie de pauvreté, de pénitence et de travail, est à l’image de sa modestie. Après sa mort, en 1116 à Orsan, son corps est ramené à Fontevraud pour être enseveli dans l’église, alors que l’humble moine ne l’avait guère souhaité. Une façon, peut-être, d’éviter les rassemblements populaires autour de sa sépulture et d’éventuels miracles qui auraient pu aboutir à sa canonisation, lui, à qui l’Église reprochait un certain péché d’orgueil, et qui, dans cette abbaye où vivaient moines et moniales, avait osé donner le pouvoir aux femmes. Jouxtant l’église abbatiale, le cloître témoigne avec éclat de la puissance de ces abbesses.
L’autre grand chantier de ces abbesses, qui se succèdent pendant cent cinquante ans, est la Salle du Chapitre. Cette vaste pièce, où elles se réunissaient pour la lecture commentée de chapitres de la règle monastique et confessaient publiquement leurs manquements, continue de vibrer de leur présence. Sur le décor peint du XVIe siècle, nombre d’entre elles, qui ont pu être identifiées, s’invitent aux côtés du Christ, dans la scène de la Crucifixion, de la Cène, de la Pentecôte… Une audace inhabituelle qui a permis de rappeler aux moniales, mais aussi aux prêtres, confesseurs et évêques, que les femmes de la maison de Bourbon étaient puissantes et avaient joué un rôle important dans les réformes des ordres monastiques. À partir de 1792, les abbesses quittent les lieux et cette salle devient garde-manger lorsque l’abbaye fait office de prison, à partir de 1804, sur ordre de Napoléon. Pendant la période pénitentiaire, ce sont des centaines de prisonniers qui arpentent le cloître, en guise de promenade. Ce n’est qu’en 1963 que ce centre pénitentiaire, l’un des plus durs de France, est fermé. En 1975, l’abbaye devient un centre culturel, accueillant aussi bien des festivals de musique, des expositions historiques, des ateliers d’artistes, et en 2021, son Musée d’art moderne. Aujourd’hui, les artistes continuent de dialoguer avec ce patrimoine – comme en témoigne actuellement l’œuvre de l’artiste français Paul Cox (né en 1959), inspirée par la broderie de Bayeux et des tapisseries médiévales. Sur une toile monumentale, il a représenté la vie d’Aliénor d’Aquitaine, ses voyages, la deuxième croisade à laquelle elle participa, son séjour à Constantinople… La reine peut poursuivre sa lecture l’âme en paix.
La restitution du cimetière des Plantagenêts
À l’occasion des 900 ans de la naissance d’Aliénor, l’abbaye de Fontevraud recrée la dernière demeure de cette dernière, une chapelle-mausolée édifiée au XVIIe siècle, à l’initiative de l’abbesse Jeanne-Baptiste de Bourbon, puis démantelée à la Révolution et à l’époque carcérale. Cette restitution inédite est le fruit de la découverte de retables dans l’église paroissiale Saint-Michel de Fontevraud et de panneaux en bois sculpté dans l’église Saint-Aubin de Turquant par le conservateur du patrimoine, Florian Stalder, alors qu’il travaillait à l’inventaire du patrimoine de la Région Pays de la Loire. La présence d’une abbesse sur les hauts-reliefs de Turquant lui indique leur origine fontevriste. À l’issue de ses recherches, il confirme que les œuvres proviennent de la chapelle-mausolée des Plantagenêts. Ces dernières sont aujourd’hui replacées dans une restitution de ce cimetière des rois, qui invite les visiteurs à découvrir l’atmosphère disparue de la nef, si différente de sa pureté formelle d’aujourd’hui, où le blanc du tuffeau domine.
Marie Zawisza
« D’un monde à l’autre, la dernière demeure d’Aliénor »,
Abbaye royale de Fontevraud, Fontevraud-L’Abbaye (49), jusqu’au 3 mars, www.fontevraud.fr
Quelle curieuse architecture ! Avec leur forme octogonale, leur toiture hérissée de cheminées en « écailles de poisson », les cuisines romanes, édifiées vers 1140, classées monument historique en 1840 et rénovées en 2020, piquent aussi bien la curiosité des visiteurs que celle des historiens, des architectes et des artistes. Dotées de grandes cheminées et de foyers, on y préparait les repas pour la communauté monastique et les visiteurs, jusqu’à 300 personnes au total.
Les vitraux de François RouanEn juin 2025, des vitraux réalisés par le peintre François Rouan orneront les façades sud et nord du grand réfectoire de l’abbaye royale de Fontevraud, évoquant sous forme de traces, de symboles ou par des choix de couleurs, la figure de Robert d’Arbrissel et celles des abbesses, mais aussi des prisonnières et prisonniers incarcérés dans l’abbaye devenue prison sous Napoléon. En attendant leur installation, une exposition présente le projet à travers des dessins, des peintures et des verres gravés.
Les clochesNe craignez pas de faire sonner les cloches réparties dans le jardin de l’abbaye. Chaque année, depuis 2019, est coulée une cloche pour reconstituer la sonnerie complète du beffroi de l’abbaye de Fontevraud. Le décor de chacune d’elles – elles seront finalement six – est confié à un artiste contemporain. Écoutez leurs notes résonner avec puissance et majesté, et admirez la vue imprenable, le chevet de l’église et l’abbaye.
Le temps des prisonsS’il est difficile de visiter les quelques « cages à poules », cellules de prisonniers, conservées à Fontevraud, l’exposition permanente « Fontevraud, une centrale pénitentiaire – 1814-1963 » fait découvrir aux visiteurs cette page sombre de l’histoire de l’abbaye royale à travers des images d’archives, des maquettes, des objets d’époque et des témoignages.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’abbaye royale de Fontevraud, d’Aliénor d’Aquitaine à l’art contemporain
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°782 du 1 janvier 2025, avec le titre suivant : L’abbaye royale de Fontevraud, d’Aliénor d’Aquitaine à l’art contemporain