Bon anniversaire Jacques Villeglé
À 90 ans, « the iconic French artist », comme le qualifiait le magazine Vogue sur son compte Twitter en avril, se maintient toujours en haut de l’affiche. Et au-delà même. L’affichiste, gentleman décolleur au verbe généreux et au chapeau vissé sur la tête, n’a rien perdu de son élégance ni de sa jeunesse. Il est certes un peu dur de la feuille – le comble pour un artiste tel que lui – mais assure que son trouble auditif n’est pas lié à son âge, celui-ci ayant été diagnostiqué il y a longtemps. « À l’école, déjà, mes professeurs disaient que je n’entendais que ce que je voulais entendre. Mais je ne les entendais pas ! », s’amuse Villeglé. S’amuse, oui, car Jacques Mahé de La Villeglé, né le 27 mars 1926 à Quimper, dans le Finistère, a conservé son esprit mutin intact. Sa mémoire et sa vivacité intellectuelle également. Il faut écouter l’inventeur du « lacéré anonyme » – ce personnage à la fois fictif et réel créé en 1959 pour incarner ce génie collectif dont il récupérait les affiches dans la rue – parler de son enfance ; conter l’anecdote de ce voisin qui, subissant les effets de la crise de 29, négociait auprès du quincaillier le prix de la corde avec laquelle il allait se pendre ; s’intéresser à la politique au lendemain de la guerre avant de s’en éloigner à force « d’entendre les politiciens parler comme des curés » ; rappeler que son travail de contrôleur de chantiers lui permettait de repérer le jour les affiches disséminées dans la ville avant de les récupérer le soir ; et que ce travail alimentaire lui a permis de ne jamais trahir, encore aujourd’hui, son intégrité d’artiste. Il faut l’entendre se souvenir de son ami Raymond Hains (lequel « n’était jamais pressé de travailler », rit-il), de la galeriste Colette Allendy, qui organisa sa première exposition en 1957, de Guy Debord (« un homme affable ») et de Pierre Restany, dont il pardonne la sévérité tant il était cultivé et informé en matière d’art… Ses mains s’animent pour évoquer la première affiche qu’il s’est appropriée « avec Raymond » en 1949 près de La Coupole à Paris, sur une palissade du boulevard Montparnasse, en vue de recomposer une nouvelle Tapisserie de Bayeux. Elles sont toujours en mouvement lorsqu’il rappelle comment est né son alphabet sociopolitique en 1969, après avoir vu sur un mur de la station République un graffiti détournant le nom du président Nixon, alors en visite officielle à Paris.
Cette histoire, Philippe Piguet nous la raconte dans le grand portrait que nous consacrons ce mois-ci à Jacques Villeglé. Elle est à l’origine, donc, de l’alphabet sociopolitique, cette typographie surchargée des signes et des symboles religieux, politiques, maçonniques, idéologiques, zodiacaux, militants, monétaires, etc., qui fondent nos sociétés. Cet alphabet auquel Villeglé se consacre quasi exclusivement depuis plus de dix ans et qui va vous accompagner tout au long de la lecture de ce numéro, de la couverture (sur laquelle le O du logo de L’Œil évoque autant le Peace and love des hippies que le symbole du désarmement nucléaire, voire, après le 13 novembre, la forme de la Tour Eiffel) à la chronique de Pierre Wat, qui ferme chaque mois le magazine (un A en forme d’étoile de David). Entre les deux, cet alphabet habille, en même temps qu’il les charge de sens, les papiers sur Paul Klee, la franc-maçonnerie, Palmyre, Giacometti, Honegger, les artistes contemporains chinois, etc. À propos de ces derniers, l’artiste se souviendra qu’adolescent, il faisait croire à son voisin qu’il connaissait le chinois à force de voir de la calligraphie sur les murs des jésuites… En 2016, l’action de Jacques Villeglé n’a pas pris une ride, comme le rappellent actuellement ses expositions au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne et à la Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois (Paris). L’artiste non plus.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°690 du 1 mai 2016, avec le titre suivant : Bon anniversaire Jacques Villeglé