« Je peins ce que j’aime, sinon je ne pourrais pas le faire. La beauté des adolescentes est sublime. [...] Dante a rencontré Béatrice quand elle avait huit ans. Autrefois, les mariages se célébraient à l’adolescence. [...] Sans doute que la beauté qui me séduit est celle des adolescentes [...]. »
Ces propos de Balthus, dans un entretien donné à L’œil, nous paraissent aujourd’hui très inconvenants. Et pourtant, ils ne datent que de décembre 1999. Le vieux peintre, il a alors 91 ans, avait déjà conscience du caractère sulfureux de ses propos, et les assumait pleinement en ajoutant : « Je ne supporte pas les mentalités étroites qui voient de l’obscénité là-dedans, ni les règles morales cyniques qui estiment que ce n’est pas bien d’aimer une jeune fille. »
Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur les ressorts psychologiques avoués ou inconscients de la peinture de Balthus. Celui-ci a toujours nié la composante érotique de ses sujets, préférant en appeler à la simple esthétique, au symbole d’un corps en devenir, voire au divin. Dont acte. Mais il est toujours utile de poser des jalons et de mesurer la vitesse de changement des mentalités, réputées pourtant lentes à se modifier. C’était d’ailleurs l’intention d’Éric Troncy, l’un des commissaires de la dernière Biennale de Lyon, lorsqu’il exposa les photographies de nymphettes de David Hamilton, des clichés des années 1970.
Les affaires de pédophilie, et notamment l’affaire Dutroux (1996), ont profondément ému l’opinion publique au point qu’aujourd’hui toute photographie d’un enfant nu, présentée dans le cadre d’une exposition d’art (ou avec l’alibi artistique, c’est selon), fait l’objet de poursuites pénales. De la Néerlandaise Kiki Lamers à l’exposition bordelaise « Présumée innocent », dont L’œil a commenté les péripéties judiciaires, la justice n’hésite plus à mettre en examen artistes et organisateurs. Pourtant dans le même temps, la publicité, par exemple, affiche de plus en plus ouvertement du porno chic. L’érotisation de la société va de pair avec une sacralisation de l’enfance.
Cette réduction du temps de changement des mentalités a sans doute quelque chose à voir avec l’hyperprésence des médias dans notre vie quotidienne. Radio, télévision, presse gratuite et payante, Internet mettent au jour des affaires jusque-là passées sous silence ; du même coup, nous sommes bombardés littéralement d’information, une information souvent mise en scène et jouant sur l’émotion. Balthus, lui, vivait depuis 1977 retiré dans son grand chalet de Rossinière perdu dans les Alpes suisses, loin du bombardement médiatique. C’est peut-être une explication de ses propos anachroniques et aujourd’hui inacceptables.
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Balthus, un contre-miroir du temps
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°605 du 1 septembre 2008, avec le titre suivant : Balthus, un contre-miroir du temps