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Daniel Humair : « Matisse ne doit rien au jazz »

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 22 février 2012 - 568 mots

Compagnon de set de Martial Solal, Chet Baker, Eddy Louiss… le batteur est aussi un peintre. Entretien autour des rapports entre deux modes d’expression, la musique et la peinture.

L’œil : Matisse… Jazz… Comment entendez-vous ces deux mots ?
Daniel Humair : Absolument pas dans une relation directe. J’ai souvent regardé les images de l’ouvrage de Matisse, je n’y vois pas de jazz. Je me suis toujours réjoui qu’il ait utilisé et popularisé le mot à une époque difficile pour le jazz, mais ça aurait très bien pu s’appeler la danse ou la ronde. Pour moi, cela n’a aucun rapport avec le jazz.

L’œil : Vous voulez dire avec le jazz tel que vous le pratiquez ?
D. H. : Non, tel que le jazz a toujours existé. Le jazz, c’est une façon d’interpréter la musique, c’est une tension particulière dans l’espace par rapport aux autres musiques. C’est une question de mise en place. Celle de Matisse ne doit rien au jazz. Elle est picturale, le résultat d’un grand artiste qui avait le sens de l’équilibre des formes dans un espace. Il y a dans le jazz une écoute spécifique parce qu’on ne suit pas une partition, on suit ce que joue l’autre. C’est une véritable musique de conversation.

L’œil : Il y a quand même du rythme dans la composition de Matisse…
D. H. :Avoir du rythme, ce n’est pas faire du jazz. Dans n’importe quel espace sonore ou pictural, quand on le morcelle, on met un rythme. Qu’est-ce que c’est que le rythme ? C’est une brisure régulière dans un laps de temps ou dans un espace visuel. Tous les peintres font cela sans pour autant parler systématiquement de rythme. Le rythme, c’est la tension de l’espace. Dans le jazz, il y a une exaltation et un dépassement du contrôle, à un certain moment. C’est la seule musique où on peut se lâcher.

L’œil : C’est à la musique que vous devez la peinture ?
D. H. : Non. Je le dois à mon exercice de musicien improvisateur, c’est-à-dire à la prise de risque dans l’improvisation. J’ai une vitesse d’exécution et de trait qui vient de mon geste de batteur et qui me permet rapidité et précision dans le dessin. Je ne fais jamais un trait lent. Tous mes traits sont des hachures. Ça, ça a un rapport direct avec ma batterie.

L’œil : À propos de votre travail, vous parlez d’« abstraction narrative »…
D. H. : J’emploie des formes à définitions multiples. Je pervertis des formes qui sont existantes, banales, et qui, par leur répétition ou leur déformation, deviennent des « humairades ». Ce qui m’intéresse, c’est la tension de ces formes plus que les formes elles-mêmes.

L’œil : De vos deux pratiques, y en a-t-il une plus essentielle que l’autre ?
D. H. : Maintenant la peinture, définitivement.

Repères

Daniel Humair
présente son exposition « La voie des rythmes » jusqu’à la fin du mois de février à la Galerie Virgile Legrand, Paris-7e.

Dans le cadre de cette exposition, l’artiste a réalisé un livre de bibliophiles avec un texte de Franck Medioni, imprimé à 14 ex., accompagné de 3 lithograhies originales et de 2 dessin de Daniel Humair. En vente 1”‰”‰000 euros à la galerie.


Autour de l'exposition

Informations pratiques. « Luxe, jazz et volupt锆: rythme et couleur chez Matisse », du 29 février au 29 mai 2012. Musée des beaux-arts de Cambrai (59). Ouvert du mercredi au dimanche de 10 h à 12 h et de 14”‰h à 18”‰h. Tarifs”†: 3,10 et 2,10 €. www.musenor.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Daniel Humair : « Matisse ne doit rien au jazz »

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