Avant de rejoindre le Centre Pompidou, Emma Lavigne a été conservatrice au Musée de la musique. Comment exposer la musique? Interview expertise.
L’œil : En 2000, quand vous arrivez à la Cité de la musique, quels sont les académismes qui prévalent dans l’exposition de musique ?
Emma Lavigne : Disons qu’il y avait essentiellement des expositions d’instruments de musique. Or, ce qui m’intéressait, c’était de réfléchir à la spatialisation du son. Autrement dit, comment évacuer le casque dans sa dimension autistique ? Comment exposer l’écoute partagée, celle du concert ? Il fallait travailler le son comme une matière à exposer, au même titre que n’importe quel objet ou n’importe quelle image. Je voulais rendre à la musique sa matérialité, que ce soit par les arts plastiques bien sûr, mais aussi par le concert, l’espace d’une pochette de disque, une partition, un disque vinyle, un film sur la musique.
L’œil : Quelles ont pu être les figures de référence en matière de spatialisation de la musique?
E. L. : Elles sont nombreuses ! C’est ce que montrait l’exposition « Espace Odyssée ». Je pense notamment au pavillon d’Osaka pour l’Exposition universelle de 1970, quand Stockhausen imaginait une extraordinaire salle de concert, une sorte de bulle, dans laquelle le son rayonnait en partant du dessous de la scène. Ce sont des découvertes assez anciennes, mais qui ont profité aux expositions. On peut programmer, répartir, varier, déclencher des sources sonores dans l’espace, comme une partition.
L’œil : Quelles expos n’avez-vous pas pu faire au Musée de la musique?
E. L. : Il y en a deux. Je voulais monter « Warhol et le Velvet Underground ». Sans doute trop sulfureux pour un public aussi large, j’ai finalement fait l’exposition ailleurs [à Montréal]. Mais mon plus grand regret reste John Cage. J’en rêvais. Trop difficile.
L’œil : Quelles sont les expositions références en matière de musique ?
E. L. : Celle de John Cage en 1993 à Los Angeles, que je n’ai, paradoxalement, pas vue ! La position des œuvres changeait en permanence. Le son y était considéré comme une matière vivante. Une exposition dans sa dimension live. Je me souviens aussi de «Vienne, l’Apocalypse joyeuse» au Centre Pompidou en 1986, dans laquelle des musiciens jouaient en direct des partitions de la modernité viennoise. On ne pourrait plus le faire aujourd’hui. Il y a trop de visiteurs pour garantir les bonnes conditions de monstration des œuvres.
L’œil : Bien exposer le son, n’est-ce pas d’abord une question de moyens ?
E. L. : Oui, car le son est cher, et il faudrait plus d’outils de programmation, plus de surfaces absorbantes. Mais c’est aussi une question de moyens parce qu’on a décidé que le son était la première ligne budgétaire à être sacrifiée. Alors qu’il faudrait avoir le réflexe d’appeler un acousticien, comme on fait appel à un éclairagiste.
J’ai vu à la Biennale de Berlin en 2009 une installation de Janet Cardiff qui décrit une sorte de symphonie de voix. Je l’ai revue au Brésil à Inhotim, avec aux murs du coton gratté d’une douceur extraordinaire qui réverbérait le son avec une finesse infinie. Je n’ai jamais rencontré une pareille qualité acoustique. La pièce était devenue chef-d’œuvre. Même chose pour The Clock de Christian Marclay, un incroyable montage d’extraits de films, calé sur le temps réel du spectateur. Le son, c’est la glu qui permet de coller les images. S’il n’est pas soigné, l’œuvre se fait dévorer par l’image.
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Emma Lavigne : « Je voulais rendre à la musique sa matérialité »
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Emma Lavigne : « Je voulais rendre à la musique sa matérialité »