De nombreux espaces privés ouverts par des collectionneurs offrent, partout dans le monde, une alternative au secteur public. Une tendance qui ne faiblit pas.
« Vivons cachés, vivons heureux ? » Cette formule semble bien désuète à l’heure où les collectionneurs ouvrent des espaces dans le monde entier. Le mouvement avait commencé aux États-Unis, où les signes extérieurs de richesse s’affichent sans complexe. Eli Broad a donné le la en créant sa fondation en Californie en 1984. En janvier dernier, il a même dévoilé les plans de son futur musée dont le coût serait de 100 millions de dollars. L’idée a gagné l’Europe ces deux dernières décennies. Rolf et Erika Hoffmann furent précurseurs dès 1997, en ouvrant leur maison au public le week-end. Leur initiative a depuis fait des petits. Thomas Olbricht a créé l’an dernier Me Collectors Room à côté du Kunst Werke de Berlin, tandis que Christian Boros a inauguré son bunker géant abritant des œuvres d’Olafur Eliasson et d’Anselm Reyle.
Émules européens
Aujourd’hui, une véritable cartographie des lieux privés se dessine, à Londres avec les Fondations de David Roberts et d’Anita Zabludovic, à Lisbonne avec le Musée José Berardo ou encore à Bruxelles avec l’espace de Walter Vanhaerents et, plus récemment, d’Amaury et Myriam de Solages. Ces derniers ont donné en mai le coup d’envoi de la Maison particulière, un lieu mêlant art et convivialité. En janvier, le Mona (Museum of Old and New Art), créé par le collectionneur David Walsh, a vu le jour en Tasmanie, avec des œuvres d’artistes comme Christian Boltanski ou Wim Delvoye.
Même les Français, habituellement farouches, n’échappent pas à la règle. François Pinault a commencé en 2006 à orchestrer des expositions de sa collection au Palazzo Grassi, avant de lancer en 2009 la Pointe de la douane pour les œuvres les plus volumineuses. Son rival Bernard Arnault inaugurera la Fondation Louis Vuitton pour la Création vraisemblablement en 2013. Steve et Chiara Rosenblum ont ouvert leur magnifique espace dans le treizième arrondissement en octobre dernier, tandis que Françoise et Jean-Philippe Billarant ont créé en mai un espace baptisé Le Silo, près de Paris. « On aimerait que les gens en profitent, les jeunes de notre génération sont prêts, remarque Steve Rosenblum. Dans dix à quinze ans, ceux qui ont vingt-cinq ans aujourd’hui auront cette dimension d’ouverture dans leur culture, alors que ceux d’une autre génération sont encore dans l’esprit du " vivons cachés ". »
Des motivations diverses
La création d’un espace change invariablement la focale d’une collection. Dans la perspective, avortée, d’une ouverture au public français sur l’île Seguin, François Pinault avait concentré ses achats sur des artistes absents des collections publiques hexagonales. La localisation d’un musée privé n’est pas non plus sans incidence sur la nature du projet.
Ainsi, l’ouverture d’une collection privée vient-elle souvent combler un vide institutionnel. À Delhi, la Devi Art Foundation et le Musée Kiran Nadar pallient avec un certain brio l’absence d’intérêt des institutions publiques indiennes pour l’art contemporain. De même, le Ullens Center for Contemporary Art (Ucca) ouvert en 2006 à Pékin a offert une plate-forme inédite pour l’art contemporain chinois. En créant en 2002 sa fondation à Turin, Patricia Sandretto Re Rebaudengo a permis à la capitale piémontaise de retrouver une nouvelle fierté face à Milan, qui s’accapare le rôle de moteur en art contemporain.
Ces collectionneurs semi-institutionnels sont-ils guidés par l’ego, la compétition avec leurs pairs, ou par souci de partager leur ensemble avec le public ? Un peu des trois sans doute ! Les amateurs qui font ainsi leur « coming-out » sont souvent partagés entre la volonté de tout montrer, quitte à parader, et celle de ne pas trop en faire. Le musée privé participe certes d’une certaine promotion, notamment au regard des galeries, habituellement rétives face aux acheteurs non labellisés. Or, en ouvrant un espace, un collectionneur accède à un statut particulier et un accès plus aisé aux pièces. La donne se pervertit quand de tels espaces virent au showroom pour valoriser œuvres ou artistes…
1997 Ouverture de la collection Rolf et Erika Hoffmann dans le quartier de Mitte à Berlin.
2002 Ouverture de la Fondation Sandretto Re Rebaudengo à Turin.
2006 Inauguration du Palazzo Grassi avec la collection de François Pinault.
Avril 2011 Ouverture de la Maison particulière par Myriam et Amaury Solages, un couple de collectionneurs à Bruxelles.
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Ces « privés » qui ouvrent au public
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Abonnez-vous dès 1 €Collectionneuse indienne
Roxana Azimi : Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir un musée privé à Delhi ?
Kiran Nadar : À mesure que la collection a grossi, je n’étais pas à l’aise avec l’idée de mettre les œuvres dans un entrepôt et que je ne puisse pas les voir moi-même. L’idée a alors été de créer un musée et de partager les œuvres avec le public.
L’art est une facette importante de la société et elle doit être cultivée. C’était juste un désir naturel de partager l’art, pas seulement pour l’art, mais pour son impact positif sur la société. Nous avons lancé le Kiran Nadar Museum of Art pour apporter plus de visibilité à l’art moderne et contemporain indien, et le présenter de manière pédagogique au public. À terme, le musée veut avoir une structure iconique permanente pour abriter la collection, mais aussi pour créer un dialogue autour de l’art et de ses expressions culturelles avec des expositions, des workshops et un programme éducatif.
Légende photo
Vue du Ullens Center for Contemporary Art (UCCA)à Pékin
L’avenir de ce lieu ouvert en 2006 par Guy et Myriam Ullens est des plus incertains. Après un accord raté de rachat par la société Mincheng, les spéculations vont bon train.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°636 du 1 juin 2011, avec le titre suivant : Ces « privés » qui ouvrent au public