Quatre collectionneurs allemands installent leurs collections à Berlin.
BERLIN - Si la Bourse allemande n’entend pas déserter Francfort-sur-le-Main, si les grosses industries restent durablement ancrées dans la région de la Ruhr, les collectionneurs rhénans d’art contemporain, eux, migrent à Berlin. Axel Haubrok, Wilhelm Schürmann, Christian Boros et Thomas Olbricht suivent l’exemple donné en 1997 par Rolf et Erika Hoffmann. Ce couple, prématurément retraité, fut le premier à remodeler une ancienne usine de matériel médical en un loft d’une superficie de 1 800 m2 pour présenter sa collection au public. Pourquoi ce mouvement vers l’Est alors que tous les leviers, hormis politiques, restent vissés à l’Ouest ? « Les choses n’y sont pas figées, alors qu’ailleurs, elles le sont depuis cent ans », assure Axel Haubrok, consultant en communication originaire de Düsseldorf.
Les quatre nouveaux arrivants ont opté pour des lieux chargés d’histoire. Originaire d’Aix-la-Chapelle et ancien associé du galeriste Rudolf Kicken (Berlin), Wilhelm Schürmann a repris en avril 2006 l’ancien espace de la galerie Johann König, près de Rosa Luxembourg Platz (1). Il y organise tous les deux mois une exposition monographique avec des pièces issues de sa collection, où la photographie le dispute à des pratiques d’artistes aussi divers que Martin Kippenberger, Albert Oehlen, Mike Kelley, Rita McBride, Steve Claydon ou John Miller. Rien de « m’as-tu vu » dans cette vitrine modeste. « Il fallait tenir compte de l’histoire de ce quartier avec la place Rosa-Luxembourg et le théâtre Volksbühne, explique le maître des lieux. Faire la grande gueule aurait été ridicule ici. Je n’ai rien à prouver, et cela ne m’intéresse pas d’exhiber fièrement mes derniers trophées. »
Projet pharaonique
Une même discrétion anime Axel Haubrok. Celui-ci a commencé à acheter de l’art vers 1986, passant de Günther Förg et Imi Knöbel à Martin Boyce, Wade Guyton ou Martin Creed. « Knöbel m’a dit un jour qu’il travaillait à une œuvre baptisée Canapé monochrome. Quelqu’un lui avait commandé un monochrome pour aller au-dessus de son canapé, raconte l’intéressé. J’ai compris ce jour-là qu’une œuvre ne doit pas s’adapter à l’habitat mais à la collection. » C’est ainsi que son ensemble, composé environ de cinq cents numéros, pour la plupart en garde-meuble, comprend une pièce entière réalisée par Gregor Schneider et une autre par Tobias Rehberger. Depuis deux ans et demi, Haubrok reçoit des visiteurs sur rendez-vous dans son appartement berlinois, près du Kurfürstendamm. Fin avril, il a inauguré un espace de 280 m2 au second étage d’un immeuble des années 1950 situé sur la Strausberger Platz (2). « Pour le même prix, j’aurais pu avoir un autre bâtiment ailleurs, mais je voulais un espace chargé politiquement. Jusqu’à la chute du Mur, il y avait une parade militaire juste devant, indique-t-il. Je suis intéressé par faire des projets avec des artistes, et non construire un musée à ma gloire. Il n’y a pas de stratégie derrière tout ça. »
Est-ce la stratégie ou une bonne dose de folie qui motive le projet pharaonique de Christian Boros, gourou de la publicité établi à Wuppertal ? Ce quadragénaire, qui possède des œuvres de Damien Hirst, Wolfgang Tillmans, Elizabeth Peyton ou Olafur Eliasson, a racheté un bunker de la Seconde Guerre mondiale érigé sur la Reinhardstraße, en plein Mitte. Cet édifice hitlérien de cinq étages doit accueillir les volumineuses installations du collectionneur. Bien que l’ouverture ait été programmée à l’automne, la complexité des travaux pourrait reporter l’inauguration à 2008. « En allemand, les monuments classés sont appelés “Denkmal”, ce qui peut se traduire par mémorial. Le bunker n’est pas un château de conte de fées, explique l’intéressé. C’était dédié à la guerre. La réflexion sur [l’]histoire [du lieu] est un impératif pour moi. Je veux en garder les traces historiques parce que je souhaite qu’elles soient lisibles. » Moins « historique », un penthouse construit au-dessus du bunker doit héberger la famille de Boros. Le publicitaire, qui compte Siemens et Coca-Cola parmi ses clients, a beau affirmer détester ceux qui confondent art et événement, la nature de son bâtiment présage du contraire.
(1) Schürmann Berlin, 10, Weydingerstraße, Berlin, www.schuermann-berlin.de, le vendredi et samedi 16h-19h.
(2) Haubrokshows, 19, Strausberger Platz, Berlin, tél. 49 30 806192 87,www.sammlung-haubrok.de, le samedi 12h-18h.
Originaire d’Essen, l’endocrinologue et professeur de médecine Thomas Olbricht a réuni depuis le milieu des années 1980 l’une des plus importantes collections d’art contemporain en Allemagne. Pas de lignes directrices dans cet ensemble de 2 750 œuvres, mais un éclectisme assumé menant de Daniel Richter à Tim Noble et Sue Webster, de Cindy Sherman à Jack Pierson, de Larry Clark à Paul Pfeiffer. Des usual suspects ? Pour la plupart. Mais le collectionneur s’est aussi engagé depuis cinq ans en faveur de l’art ancien. De fait, un Skeleton Vase de Maurizio Cattelan renvoie à une vanité de la fin du XVIIIe siècle, tandis que l’univers foisonnant d’Alex Rockman trouve un pendant dans la verrerie Art nouveau. Depuis quelques mois, Olbricht a engagé les premiers travaux de construction d’un bâtiment de cinq étages sur un terrain mitoyen du Kunst-Werke, situé Augustraße. Le rez-de-chaussée, d’une surface de 1 000 m2, sera destiné à présenter sa collection au public, le reste étant divisé en dix appartements dont la vente devrait financer le projet. « Je suis ami avec Klaus Biesenbach [ancien directeur du Kunst-Werke], et j’avais eu l’idée, non contractualisée, d’avoir une porte communicante avec le Kunst-Werke, explique Olbricht. Ainsi, ils pourraient mordre sur mon lieu lorsqu’ils ont des expositions qui exigent plus d’espace et, [de mon côté], je bénéficierai de leur public. » Bien que le collectionneur eût souhaité une ouverture dès la fin de l’année prochaine, il devra sans doute attendre jusqu’à début 2009. Les travaux ne sont pas sans écueil, puisque les marteaux-piqueurs ont heurté le mur du centre d’art, provoquant ainsi son évacuation le 12 août.
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La tentation d’ouvrir au public
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Abonnez-vous dès 1 €Malgré ses allures de jet-setteuse, Julia Stoschek fait moins penser à Paris Hilton qu’à Peggy Guggenheim. Comme elle, cette Allemande âgée de 32 ans jouit d’une coquette fortune familiale, issue de la firme Brose, fournisseur d’équipements automobiles. Comme l’Américaine avec Max Ernst, la jeune femme est la compagne d’un artiste, en l’occurence le photographe Andreas Gursky (lire p. 31). À l’instar de son modèle, qui collectionna de l’art dès l’âge de 24 ans, Stoschek a la collectionnite précoce. En cinq ans, elle s’est constitué un fonds de 400 œuvres, principalement vidéographiques. « C’est un art de ma génération et dans lequel je peux m’identifier », explique-t-elle. En 2004, Stoschek jette son dévolu sur un ancien atelier de fabrication de cadres, d’une superficie de 3 500 m2 à Düsseldorf. Cet écrin construit sur trois niveaux a été inauguré en juin avec l’exposition « Destroy, she said ». Le saut n’était-il pas prématuré ? Une visite des lieux balaye les doutes. Entre Paul Chan et Doug Aitken, Christian Jankowski et Anthony McCall, Julia Stoschek a frappé juste, aussi bien dans le choix des pièces que dans leur mise en espace. Certes, l’expérience pâtit de quelques parasitages sonores d’une œuvre à une autre. Mais l’ensemble respire un professionnalisme saisissant. Julia Stoschek Collection, 54, Schanzenstraße, Düsseldorf, www.julia-stoschek-collection.net, tél. 49 211 1752 166, le samedi sur rendez-vous, 11h-16h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : La tentation d’ouvrir au public