Dans une monographie originale, Jan Blanc dresse le portrait d’un Vermeer en quête de reconnaissance.
« Pour Vermeer, la gloire n’est pas une idée abstraite. Elle est l’engagement d’une vie et le produit d’un travail, mais aussi la conséquence d’un certain nombre de choix, de décisions et de stratégies qui permettent de prolonger le projet d’une carrière, vouée à faire survivre la réputation mondaine du peintre, au-delà de sa mort, dans une postérité éternelle à laquelle, comme l’au-delà, les peintres néerlandais du XVIIe siècle croient tous. Pour Vermeer, la gloire n’est pas une grâce qu’il faudrait attendre ou espérer du Ciel ; elle peut se construire et s’élaborer, du vivant de l’artiste ». Vermeer, Jeff Koons et Damien Hirst même combat ? Toutes proportions gardées bien sûr… Jeune professeur d’histoire de l’art à l’Université de Genève et spécialiste de la peinture flamande, hollandaise et britannique des XVIIe et XVIIIe siècles, Jan Blanc a étudié de près le modeste corpus de Johannes Vermeer en se demandant à quel point le peintre aurait envisagé son art en fin stratège. Partant de L’Art de la peinture (v. 1666-1668), allégorie célèbre dans laquelle Vermeer met en scène un peintre et son modèle, cette « monographie problématisée » va au-delà du mythe d’un artiste taiseux et renfermé sur lui-même, et veut se démarquer de la thèse de L’Ambition de Vermeer de Daniel Arasse qui ne voit en l’artiste qu’un tenant de la modernité.
La « stratégie Vermeer »
Dans un style fluide, sans fioritures et d’une agréable clarté, Jan Blanc analyse l’ascension artistique et sociale fulgurante de l’artiste en trois étapes. La première est l’imposition de l’autorité artistique : Vermeer fait l’étalage de son savoir-faire, suscite le désir chez l’acheteur et ne cherche absolument pas à donner l’illusion que son travail est à portée de main ou de porte-monnaie. La lenteur d’exécution et la faible production procèdent de cette volonté d’attribuer un caractère rare à son œuvre – une parcimonie qui se retournera contre lui car Vermeer disparaît de la mémoire du monde européen de l’art jusqu’à sa redécouverte par Théophile Thoré-Burger à la fin du XIXe siècle. La deuxième étape consiste à tisser un réseau de clients aux moyens conséquents. Qui dit rareté dit prix élevés, confortés par la préciosité apparente des tableaux figurant des objets sophistiqués et des matières luxueuses. Protestant de naissance, converti au catholicisme pour son mariage, le peintre sait entretenir son image de peintre supérieur auprès de relations aux moyens aisés, en mettant à profit cette double étiquette religieuse. La troisième et dernière étape témoigne du désir de Vermeer d’inscrire son art dans la durée, en s’attachant à produire une peinture universelle tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, l’artiste cultive une approche savante de la composition, dont il calcule avec soin l’équilibre. Sur le fond, la vie quotidienne chez Vermeer est le théâtre des passions humaines et de l’exploration des valeurs morales. En dépit de son approche éclairée et pragmatique du marché de l’art, Vermeer n’avait pas prévu l’invasion des Provinces-Unis par les troupes françaises à la suite de laquelle sa carrière et celles de ses confrères prirent un tournant difficile.
Soucieux de dresser le contexte religieux, économique et politique du temps de Vermeer, Jan Blanc parvient à démontrer que le peintre n’était pas le « Sphinx de Delft » mais bien un artiste ouvert au débat contemporain et aux théories sur l’art. Ses propositions sont d’ailleurs nombreuses comme celle, par exemple, sur l’identité du peintre auprès duquel Vermeer aurait accompli son apprentissage – Gerard Ter Borch, dans les Flandres, ou chez Jacob van Loo, à Amsterdam. L’originalité du propos de l’auteur est également d’avoir fait fi de la chronologie communément acceptée d’un corpus, dont seule une poignée d’œuvres sont datées par l’artiste – pour mieux se défaire des préconceptions et de l’idée communément acceptée d’un style évoluant de la peinture d’histoire vers la scène de genre. À souligner, l’auteur inclut dans son corpus la Sainte-Praxède (1655), récemment vendu chez Christie’s pour plus de 6,2 millions de livres sterling (7,85 millions d’euros), ce malgré les doutes encore entretenus par quelques spécialistes du peintre.
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Vermeer sur les chemins de la gloire
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Vermeer sur les chemins de la gloire