Dans un ouvrage critique, Paul Max Morin et Sébastien Ledoux analysent la politique mémorielle sur la guerre d’Algérie depuis 2017.
Début 2017, le candidat Emmanuel Macron s’est rendu à Alger pour y prononcer un discours marquant sur les « crimes de la colonisation » : il se posait en homme providentiel prêt à réconcilier la France et l’Algérie. Il ressort en 2024 que ce n’était qu’un interlude, tant les relations avec l’Algérie se sont détériorées. Outre les réticences françaises sur les restitutions qui ont conduit le président Tebboune à décaler sa visite officielle, Emmanuel Macron a déclaré fin juillet 2024 soutenir le plan marocain de résolution du conflit au Sahara occidental : l’Algérie, soutien du Front Polisario, a rappelé son ambassadeur et annulé une nouvelle fois la visite officielle de Tebboune de septembre 2024.
Ces revirements constituent selon les auteurs de L’Algérie de Macron un marqueur du macronisme face aux enjeux mémoriels. Selon eux, le président a fait de la mémoire de la guerre d’Algérie un objet politique au service de son élection en 2017 puis au service d’une politique de « réconciliation » de la société française avec son passé : il théorise une société « hantée par le passé ». À l’appui de leur théorie, les auteurs citent les discours officiels d’Emmanuel Macron, ses interviews et les archives des initiatives mémorielles entre 2017 et 2023. On constate une « inflation mémorielle » sur cette période, qui lui donnerait raison lorsqu’il se prétend le premier président à affronter cette mémoire « oubliée ». L’ouvrage montre une situation nuancée : la première partie rappelle que depuis 1962, l’État a mis en place des politiques d’indemnisation (harkis, rapatriés, anciens combattants puis appelés) et des actions de « mémorialisation », c’est-à-dire la mise en récit du passé par l’État. L’absence de procès pour les assassinats en Algérie et les lois d’amnistie pour les membres de l’OAS empêchent cependant un récit collectif apaisé. Les auteurs notent que De Gaulle a construit une « mémoire écran » autour de cette période : ce n’est qu’en 1999 que le terme « guerre d’Algérie » apparaît dans un texte de loi.
Les initiatives timides de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande se font en parallèle d’un foisonnement associatif où chaque groupe concerné se construit une identité figée : harkis, rapatrié, pied-noir… Le choix d’une date de commémoration commune cristallise les tensions sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, en plein débat sur la repentance. Emmanuel Macron a donc beau jeu de se présenter comme celui qui peut réconcilier ces mémoires « fragmentées » en 2017, en se basant sur l’analyse de Benjamin Stora (La gangrène et l’oubli, 1991). Les auteurs relèvent que le président se voit en thaumaturge face à une société malade. En effet, il emploie des termes liés à la pathologie (refoulement) pour décrire les enjeux mémoriels, et non politiques : c’est selon les auteurs, la principale raison de l’échec des initiatives mémorielles. Jusqu’en 2020 cependant la politique mémorielle fonctionne, que ce soit par le soutien aux travaux d’historiens, par la reconnaissance de la responsabilité française dans l’assassinat de Maurice Audin (2018) ou l’ouverture partielle des archives, sujet à débats entre historiens et ministère des Armées. Le président prône une politique par l’action et par la parole performative.
Car la politique mémorielle se définit alors exclusivement à l’Élysée, avec une équipe restreinte de conseillers : ce serait la deuxième cause de l’échec du président. À partir de 2020 et de la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron abandonne l’idée de « réconciliation » par la vérité et arrime sa politique mémorielle sur la guerre d’Algérie à la lutte contre le séparatisme, censé dériver d’une rancœur envers le passé colonial. La commande du rapport Stora, fin 2020, s’inscrit dans cette ligne droitière et verticale, et amène la création d’une commission mémorielle à l’Élysée, loin des ministères. Les auteurs n’épargnent pas Benjamin Stora, car l’historien ne distingue pas l’usage politique de la mémoire et les expériences individuelles. Le rapport rédigé par Benjamin Stora (bénévolement et sans équipe) débouche sur quelques actions (stèle hommage à Abd el-Kader à Amboise, bourses d’études) mais n’infléchit pas la politique mémorielle durablement. De même, le groupe de jeunes issus des communautés liées à la guerre d’Algérie, voulu par l’Élysée en 2020, connaît-il une existence écourtée : les auteurs relèvent que ni dans ces réunions de jeunes ni dans les discours sur le rapport Stora le mot « colonisation » n’est prononcé. Emmanuel Macron perpétue une vision anhistorique de la guerre d’Algérie, loin des promesses de 2017. La création en 2022 d’une commission franco-algérienne d’historiens n’y change rien, de même que la relance avortée du projet de Musée de la France et de l’Algérie de Montpellier : sans moyens financiers et sans soutien de l’administration puisque tout se décide à l’Élysée, ces équipes travaillent sans objectif précis.
La dernière partie et la conclusion diluent le propos avec des redites, mais l’ouvrage démontre que le président et ses conseillers sont passés à côté de la construction d’une mémoire collective, par opportunisme (séduire la droite conservatrice en 2022) et par incapacité à faire un travail politique sur la colonisation de l’Algérie. La mémoire sans histoire politique ne produit que des symboles creux.
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Un réquisitoire contre « l’Algérie de Macron »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Un réquisitoire contre « l’Algérie de Macron »