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Nathalie Heinich, sociologue - Aujourd’hui, on ne peut plus se passer de la personne de l’artiste

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 15 avril 2014 - 442 mots

Dans Le Paradigme de l’art contemporain (Gallimard), la sociologue examine les bouleversements à l’œuvre dans l’art contemporain. Parmi eux, l’expansion de la place accordée à la personne de l’artiste

L’Œil : Quelles sont les manifestations actuelles de l’ego des artistes ?
Nathalie Heinich  :
Elles peuvent passer par l’habillement – qui peut être le plus extravagant possible ou, au contraire, convenable à l’extrême pour montrer que l’on se démarque de ce cliché, avec complet veston et cravate comme Jeff Koons. Mais surtout, l’ego de l’artiste s’impose à travers le discours qui accompagne son œuvre, et qui en fait partie intégrante. Un exemple ? Au début de l’art contemporain, la galeriste Iris Clert découvre le tableau d’un jeune inconnu : un monochrome bleu. « Ceci n’est pas un tableau ! », s’exclame-t-elle. Mais peu à peu, le charme de son auteur, Yves Klein, opère. Elle est conquise par son « espèce de folie mystique » et décide de le faire connaître. On voit ici comment la personne de l’artiste est devenue essentielle pour emporter l’adhésion face à une œuvre qui, conformément aux règles implicites de l’art contemporain, transgresse les codes.

L’ego des artistes serait donc devenu plus important avec l’art contemporain ?
Oui, car à l’âge classique, l’excellence résidait dans la reproduction des canons de la figuration. Mais au XIXe siècle, avec les romantiques en littérature et surtout les impressionnistes en peinture, émerge l’idée que l’art ne doit plus reproduire le réel, mais permettre d’exprimer l’intériorité de l’artiste. Dès lors s’est imposée l’idée que la sincérité de ce dernier garantit l’authenticité de l’œuvre. Parallèlement, s’est mis en place ce que j’appelle un « régime de singularité », où ce qui est unique, hors du commun, apparaît a priori plus intéressant que ce qui est traditionnel, conventionnel. La figure de l’artiste bohème, excentrique, s’impose. Or, dans l’art contemporain, on assiste à une hyperproduction d’œuvres transgressives : l’ego des artistes, qui doivent désormais être originaux, uniques, ne peut que s’exacerber.

Au point que l’œuvre disparaît derrière la personne ?
L’œuvre est tout de même nécessaire pour permettre au discours de se déployer ! Mais à partir du moment où l’art ne reproduit plus les canons, on ne peut se passer de l’artiste pour comprendre et interpréter ses pièces. Il apparaît ainsi essentiel dans le monde de l’art contemporain de « rencontrer » les créateurs. On remarque même que, pour de nombreux collectionneurs, le fait de connaître un artiste rend encore plus désirable le fait de posséder ses œuvres. Andrea Fraser a d’ailleurs poussé ce jeu jusqu’à proposer à l’un d’eux de se filmer pendant qu’ils faisaient l’amour ensemble pour en faire une vidéo d’artiste !

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : Nathalie Heinich, sociologue - Aujourd’hui, on ne peut plus se passer de la personne de l’artiste

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