Livre

MONOGRAPHIE

Les transsubstantations de Pascal Convert

Par Marie Zawisza · Le Journal des Arts

Le 5 juin 2024 - 570 mots

Le travail de l’artiste est relu à travers un montage thématique, du corps à l’histoire et au temps, textes d’historiens de l’art à l’appui.

L’esprit du Vésuve qui, en 79 après J.-C., a cristallisé le temps s’écoulant à Pompéi, dans ses demeures comme dans les corps fragiles de ses habitants, serait-il venu s’immiscer dans le cœur et les mains de Pascal Convert (né en 1957) ? Peut-être. Si l’angoisse de devoir un jour périr ne transparaît pas dans ses œuvres, la disparition des êtres, les voix chères qui se sont tues dans le fracas des guerres, les statues qui « meurent aussi », pour reprendre le titre du film de Chris Marker et Alain Resnais en 1953, le bouleversent. Elles habitent son art, ainsi de la « Madone de Bentalha », statue en cire inspirée d’une photographie ayant fait la « une » de la presse internationale où l’on voit une femme algérienne, voilée comme une Vierge Marie, éplorée après le massacre des siens par le Groupe islamique armé. Mais aussi du témoignage de la disparition du site archéologique des bouddhas de Bâmiyân détruit par les talibans, du Monument à la mémoire des résistants et otages fusillés au Mont-Valérien entre 1941 et 1944, ou du squelette du cheval préféré de Napoléon, Marengo, créé pour flotter dans les airs au-dessus du tombeau de l’Empereur.

La monographie coéditée par Flammarion et le Centre national des arts plastiques invite le lecteur à explorer les thèmes traversant son travail, qui s’apparente à une archéologie de l’architecture, du corps, de l’histoire, de l’enfance, des temps. L’ouvrage parcourt pour la première fois l’ensemble de l’œuvre de Pascal Convert, par un montage thématique voulu par l’artiste, échappant à la stricte chronologie. Une place importante y est laissée à l’image. On tourne autour des œuvres, on scrute un détail, on change de point de vue. Quelques écrits accompagnent ces reproductions – des fragments d’articles publiés au fil des ans, un entretien de 2023 de l’artiste avec l’universitaire Nigel Saint, ainsi que des textes inédits des historiens de l’art Georges Didi-Huberman, Philippe Dagen et Nadeije Laneyrie-Dagen. Sans doute peut-on regretter qu’ils ne soient pas plus nombreux, pour mieux appréhender chaque œuvre. Pointus, lumineux, personnels, ils éclairent cependant le lecteur sur la pratique de Convert, le situent dans l’histoire de l’art, font résonner sa pensée avec notre époque et avec l’histoire. « Face à l’éternel océan devant lequel je vis, immense bleu appliqué sur le corps de la terre, j’observe chaque jour le mouvement des vagues de cristal qui brassent le ruissellement de nos rires et de nos larmes, de nos vies qui s’effacent, dans le tumulte de l’histoire », s’émeut l’artiste.

Une conscience profonde

À travers ses œuvres, on le voit au fil des pages recueillir ces rires et ces larmes, cristalliser le temps, transformer les « choses banales » en « signes de pensée », analyse Philippe Dagen dans l’ouvrage, mais aussi interroger la dimension politique et esthétique des images et leur impact dans la construction de la mémoire collective ou l’amnésie de l’histoire. « Tu t’intéresses depuis bien longtemps à tout ce qui est dormant. Tu as l’intuition – une inquiétude aiguë, presque insomniaque – que ce qui est dormant attend son heure et travaille à quelque chose »,écrit Georges Didi-Huberman dans une lettre à l’artiste, ce « grand inquiet de l’histoire et de ses intolérables magouilles ». Quant à nous, lecteurs, nous voici, face à ses œuvres rassemblées ici, éveillés et ouvrant les yeux sur le temps, le monde et ses vicissitudes.

Pascal Convert, collectif,
éd. Flammarion, « Nouvelle création contemporaine », 240 p., 45€.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Les transsubstantations de Pascal Convert

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