La Compagnie des œuvres, animée par Matthieu Garrigou-Lagrange, invitait le rédacteur de chef de L’Œil à parler de l’intérêt croissant des artistes contemporains pour la nature dans une émission consacrée à Maurice Genevoix et la nature, diffusée le 6 novembre 2019 sur France Culture.
Chronique à réécouter ici dans son intégralité ou à lire ci-après (à partir de 55:18) : :
« Le triomphe de la végétation est total » : cette citation n’est pas de Maurice Genevoix mais d’un autre prix Goncourt : Michel Houellebecq. Ce sont ces mots, en effet, qui ferment La Carte et le territoire, dont je vous rappelle les dernières lignes :
« Ce sentiment de désolation, aussi, qui s’empare de nous à mesure que les représentations des êtres humains qui avaient accompagné Jed Martin […] se délitent sous l’effet des intempéries, puis se décomposent et partent en lambeau […]. Elles s’enfoncent, semblent un instant se débattre avant d’être étouffées par les couches superposées de plantes. Puis tout se calme, il n’y a plus que des herbes agitées par le vent. Le triomphe de la végétation est total. »
La Carte et le territoire est le roman de Houellebecq qui nous emmène dans le milieu de l’art contemporain, à travers la vie d’un artiste fictif : Jed Martin. Or, à la fin du roman, lorsque les personnages disparaissent, reste un espoir : celui de la régénération de la nature. Associer l’art contemporain à la végétation ? Quelle drôle d’idée… Pourtant, force est de constater que l’herbe, les fleurs et les arbres sont devenus, ces dernières années, un matériau prisé des artistes. Au même titre qu’ils se servent d’un crayon ou de peinture, les plasticiens utilisent désormais le végétale dans leur création.
Bien sûr, il ne s’agit plus de représenter la nature, comme le fit si merveilleusement Dürer en peignant sa grande touffe d’herbe ; mais cette fois de faire entrer la nature dans les arts plastiques. C’est sur cette tendance qu’Anne-Cécile Sanchez a enquêté dans le magazine d’art L’Œil en novembre. « Il ne se passe pas une semaine sans qu’une exposition, une installation ou une œuvre ne s’empare du botanique comme matériau ou comme sujet de réflexion », note Anne-Cécile Sanchez, qui remarque au passage que le livre du philosophe Emanuele Coccia, paru en 2016, sur La Vie des plantes, est sans doute l’un des essais les plus cités aujourd’hui chez les artistes. Ce ne n’est pas Klaus Littmann qui nous contredira. Le curateur suisse vient en effet de réaliser une immense installation artistique que nous reproduisons en double page dans L’Œil. Littmann a planté dans le stade de foot de Klagenfurt, en Autriche, des arbres. Matthieu, Jacques : imaginez-vous vous asseoir sur les gradins d’un stade et regarder une forêt de 300 arbres plantés là, sur le terrain de foot. Ce spectacle statique serait absurde s’il ne réalisait pas le dessin au crayon réalisé dans les années 70 par l’artiste Max Peintner. Mais il serait encore plus absurde si ce dessin n’était pas visionnaire ; s’il ne faisait pas écho à la triste actualité écologique et à la déforestation en cours sur la planète, par exemple au Brésil.
C’est justement un artiste brésilien, Luiz Zerbini, qui ouvre actuellement l’exposition « Nous les arbres » à la Fondation Cartier à Paris. L’installation de Zerbini se compose d’une série de peintures monumentales entourant une table-herbier pensée comme un dessin en 3 dimensions. Sur cette table est planté un magnifique Ficus Microcarpa, autrement appelé Ficus bonsaï. S’il ne s’agit pas chez Zerbini de vanter les vertus de l’arbothérapie, dont vous parlez, Jacques Tassin, dans votre livre Penser comme un arbre, il est question en revanche de la cohabitation entre la modernité brésilienne et la forêt amazonienne ; bref, de la cohabitation entre l’homme et la nature.
Car, outre son indéniable dimension esthétique, le végétal dans l’art s’accompagne presque toujours d’un message politique. Lorsque Joseph Beuys entreprend de planter 7 000 chênes lors de la Documenta de Kassel en 82, l’artiste allemand entend certes envoyer un message écologique, mais aussi « reformer la grande forêt teutonique originelle » et « la repeupler de ses elfes, trolls et autres walkyries. » Chez Ghada Amer, le message n’est pas moins politique. Dans son installation Cactus Painting, réactivité l’an passé au Centre de création contemporaine de Tours, l’artiste franco-égyptienne se révolte contre la domination du monde l’art, depuis l’après-guerre, par les artistes mâles, blancs et anglo-saxons. L’œuvre, qui ne manque pas de piquant, se compose de milliers de cactus rouge et vert, qui, posés au sol, dessinent des motifs abstraits. Elle dénonce ainsi l’exclusion des femmes dans l’histoire de l’art moderne.
Maurice Genevoix aurait-il aimé cette utilisation du végétal dans l’art ? Difficile de répondre, mais il aurait sans doute remarqué que si la société en général, et les écrivains en particulier, se sont éloignés de la nature, les artistes plasticiens, eux, tentent d’en retrouver le chemin. Qu’au moins dans l’art, pour plagier Houellebecq, « le triomphe de la végétation est total ».