Dans un ouvrage dense dont le premier tome vient de paraître, l’enseignant chercheur franco-polonais Krzysztof Pomian fait la synthèse de 30 ans de travail sur un sujet devenu central dans le monde culturel.
Dans son introduction, Krzysztof Pomian détaille le plan des trois tomes de son ouvrage dont le premier, sous-titré « Du trésor au musée », mène le lecteur jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Cette somme est le fruit d’un long travail : « Il y a trente ans,écrit-il, quand je commençais à esquisser les premiers projets de ce livre, mes idées du sujet que j’ambitionnais de traiter étaient partielles et imprécises. » Le domaine, désormais largement étudié, s’est affranchi, constate-t-il, de l’histoire de l’art pour rejoindre « l’histoire tout court, [...] à mesure que l’histoire économique et sociale laissait sa place de discipline rectrice de la recherche historique à l’histoire politique et culturelle ».
Car les perspectives ont changé. Les musées sont aujourd’hui questionnés non plus seulement par les historiens de l’art, mais par l’opinion publique, par exemple sur leur façon d’aborder (ou plutôt de ne pas aborder) les questions de « race » et de genre, ou sur la légitimité d’y conserver des œuvres récoltées, acquises ou pillées dans les anciennes colonies. À l’issue de la 25e conférence de l’Icom (Conseil international des musées), en septembre 2019, l’assemblée générale extraordinaire a décidé de reporter le vote sur la nouvelle définition du musée, tant le sujet faisait débat. L’ouvrage de Krzysztof Pomian, qui s’appuie sur une érudition encyclopédique, devrait permettre à tous, professionnels et grand public, d’enrichir leur réflexion par une meilleure connaissance des musées, des conditions de leur apparition et de leur histoire.
L’auteur montre d’abord que les ensembles d’objets les plus anciens que l’on connaisse sont des trésors, entreposés dans des tombeaux, des temples ou des palais. Si leur prestige témoigne de la position religieuse ou sociale de ceux qui les amassent, ils représentent également une valeur marchande et garantissent donc cette position. « L’objet qui fait partie d’un trésor n’est pas une fin en soi, il n’est qu’un moyen », précise Krzysztof Pomian. Le trésor est universel : on le trouve aussi bien dans la Chine ancienne, dans l’Égypte pharaonique, en Grèce classique que chez les rois de la France médiévale.
Lorsque certains individus rassemblent des objets non pour leur valeur fiduciaire mais pour leur beauté, le trésor devient collection. Ce fut le cas en Chine quand les élites commencèrent à s’attacher aux peintures sur soie. Une collection suppose un lien personnel avec les éléments qui la composent : on les aime, on en est fier et, parfois, on les montre. Pomian indique que certaines attitudes peuvent toutefois prêter à confusion. Ainsi, au XIIe siècle, l’abbé Suger est-il sensible à la beauté des objets qu’il fait entrer dans le trésor de Saint-Denis. Cependant, précise l’auteur, ces qualités « l’intéressent non pour elles-mêmes mais bien pour la raison qu’elles ouvrent les portes de l’invisible ». Il s’agit de foi et non de délectation.
Dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains ont eu des collectionneurs (de sculptures, de peintures, d’arts décoratifs), mais les débuts de la chrétienté mirent fin à ce comportement. C’est au XIVe siècle que Pomian situe la renaissance des collections particulières en Occident. Elles se développent en Italie, parce qu’on y a accès aux antiquités et que la peinture y tient une place importante. Au XVe siècle, l’humaniste florentin Niccolò Niccoli avait une belle collection d’antiques et la montrait volontiers, notamment aux artistes. L’idée de musée n’était pas loin. Elle prit corps le 15 décembre 1471 lorsque le pape Sixte IV entérina l’installation au Capitole des bronzes antiques jusqu’alors conservés au Latran. Le peuple de Rome était désormais propriétaire de la collection, devenue donc publique. Quant au mot « musée », on le doit à Paolo Giovio (Paul Jove) qui nommait ainsi sa villa du lac de Côme abritant sa collection, ouverte au public. Les Anglo-Saxons emploient aussi le mot « galerie » qui vient de la galerie des Offices que les Médicis ouvrirent au public au XVIe siècle. L’Italie devint pour deux siècles la patrie des proto-musées.
« Jusqu’au dernier tiers du XVIIe siècle, on n’en connaît aucun exemple ailleurs, si ce n’est quelques têtes de pont qui s’implantent au nord », raconte Krzysztof Pomian qui montre l’importance des cours princières et royales. Des galeries de tableaux de François Ier, en France, ou Philippe II, en Espagne, aux cabinets de curiosités des princes d’Europe centrale, ce sont les futures grandes collections nationales que le lecteur voit se former peu à peu. Parfois ouverts au public, ces lieux ne sont cependant pas encore de véritables musées dans la définition qui est encore la leur aujourd’hui : « Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. » Leur apparition se fera dans le deuxième tome de cette passionnante histoire.
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Le musée, naissance d’un concept
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°558 du 8 janvier 2021, avec le titre suivant : Le musée, naissance d’un concept