Livre - Musée

MUSÉOGRAPHIE

Quand les musées français sont entrés dans la modernité

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2023 - 730 mots

Les éditions du Patrimoine publient un bel ouvrage sur l’invention du musée moderne, replaçant dans l’histoire des principes devenus aujourd’hui évidents.

Musée Sainte-Croix de Poitiers. © Isabelle Fortuné / Université de Poitiers
Musée Sainte-Croix de Poitiers.
© Isabelle Fortuné / Université de Poitiers

À Saint-Paul de Vence, la Fondation Maeght fait l’objet de travaux d’extension ; à Saint-Étienne, le Musée d’art moderne et contemporain entre dans une vaste rénovation : les musées construits durant les Trente Glorieuses glissent doucement dans la phase patrimoniale de leur existence. Pour accompagner ce mouvement, un « carnet d’architecture » paru aux Éditions du patrimoine s’intéresse à cette « invention du musée moderne » – comme l’indique son titre, entamée durant l’entre-deux-guerres. Un mouvement qui s’enracine dans le rejet du modèle « musée-temple » propre au XIXe siècle, qui multipliait les références à l’antique et les décors chargés pour présenter une profusion d’œuvres. L’essai introductif de Simon Texier et Marie Civil nous rappelle pourtant que c’est un chantre du classicisme, l’historien de l’art Louis Hautecœur, qui a rédigé en grande partie la publication fixant les termes du débat, dans la foulée de la conférence de Madrid tenue par l’Office international des musées en 1934.

Cette réunion fondatrice est à l’origine des principes élaborés pour moderniser les musées du XIXe siècle, que Paul Valéry appelait les « maisons de l’incohérence ». La lumière, directe et adaptée aux œuvres, est au centre des discussions, mais aussi l’apparition de nouveaux services à intégrer aux musées : administration, centre de conservation, de documentation, amphithéâtre. On tente de rationaliser le parcours des visiteurs et l’on préconise un accrochage allégé. La question du décor dans les salles d’exposition provoque, elle, les positions les plus radicales : il ne faut pas concurrencer les œuvres avec des ornements inutiles.

Des propositions novatrices sur le papier

L’ouvrage décline huit cas d’études, de 1937 aux années 1980, où ces préceptes ont été mis en œuvre en France. Ce ne sont pas tous des projets réalisés, et les premiers sont des architectures de papier conçues par Auguste Perret et Le Corbusier. Chez Perret, le projet donne la part belle à la monumentalité et fait preuve d’une attention particulière aux conditions de conservation, de visite, et à la question de la lumière. Répondant à l’exigence d’un musée pour tous, il imagine une galerie principale dans laquelle seraient exposés les chefs-d’œuvre, à partir de laquelle s’ouvre un parcours parallèle destiné aux spécialistes. La proposition de Le Corbusier se veut « anti-monumentale » et répond aux problèmes d’accroissement des besoins d’espaces nouveaux par un « musée à croissance illimité ». Restant à l’état de dessin, ce projet est néanmoins fécond, en posant l’idée d’une promenade architecturale et tout le vocabulaire qui en découle (comme la rampe), largement repris dans divers projets au cours du XXe siècle.

Carnets d'architecture - L'invention du musée moderne 193-1970. © Editions du Patrimoine
L'invention du musée moderne 1930-1970, collection Carnets d'architecture, 2023 .
© Éditions du Patrimoine

Architecture non réalisée également lorsqu’il s’agit du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ce n’est pas tant le projet lauréat – amplement néoclassique et massacré par la critique lors de sa sélection – qui retient l’attention, mais plutôt celui de Robert Mallet-Stevens et Georges-Henri Pingusson, baptisé « Plein ciel ». On retrouve dans l’ouvrage une perspective et une coupe de ce plan novateur, qui aurait été inondé de lumière. La notice consacrée au Musée d’art moderne André-Malraux du Havre resitue l’importance historique de ce bâtiment, qui rompt avec le musée traditionnel, mais offre aussi une autre voie que celle tracée, outre-Atlantique, par Frank Lloyd Wright. Ce bâtiment complètement flexible et vitré s’inspire de la Maison du peuple conçue par Jean Prouvé à Clichy, pour créer un espace reconfigurable à l’envie. Incarnation de la politique culturelle d’André Malraux, le musée conçu par l’atelier LWD se distingue aussi par une scénographie originale avec des cimaises en nattes suspendues, flottant dans les airs : quelques photographies témoignent de cette réalisation.

Au travers des huit cas étudiés, se dégage la confrontation difficile de ces idéaux avec les prescriptions patrimoniales et les exigences de conservation. Architecte des musées d’Avignon, Saint-Germain-en-Laye, du Musée Matisse à Nice et de la Galerie nationale de la tapisserie de Beauvais, André Hermant connaît ainsi de grandes difficultés avec ses interlocuteurs professionnels. Ses réalisations restent novatrices, avec notamment l’apport de la lumière artificielle dans des parcours sombres. Du « brutalisme discret » du Musée Sainte-Croix de Poitiers [voir ill.] à la remarquable extension du Musée des beaux-arts de Besançon, l’ouvrage couvre une belle diversité de mises en œuvre de ces nouveaux principes muséaux. Par manque de place, de grandes réalisations sont absentes : on aurait aimé lire, par exemple, un développement sur le musée gallo-romain de Lyon par Bernard Zehrfuss.

Simon Texier et Marie Civil, L’invention du musée moderne : 1930-1970,
Éditions du patrimoine, coll. Carnets d’architectes, 2023, 192 pages, 25 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°610 du 28 avril 2023, avec le titre suivant : Quand les musées français sont entrés dans la modernité

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