VERSAILLES
La méthode Epico, élaborée au château de Versailles, est adaptée aux contextes des collections des demeures et châteaux historiques.
Versailles. Conserve-t-on les collections d’un château comme celles d’un musée ? Bien que la réponse soit négative, les méthodes de conservation des palais et châteaux restent souvent calquées sur le modèle muséal. Avec le projet de recherche Epico [pour European Protocol in Preventive Conservation], le château de Versailles et ses partenaires ont mis au point une méthode de conservation préventive précisément adaptée à ces lieux. « C’est la première fois que les châteaux-musées sont au centre d’une étude abordant ces questions, écrivait Béatrix Saule, présidente de la Fondation des sciences du patrimoine, en introduction du premier compte rendu de recherche d’Epico publié en 2017, les demeures historiques constituent des systèmes de conservation particuliers qui imposent aux collections des risques spécifiques découlant de la nature même et de l’usage de l’édifice qui les abrite. » Lancé fin 2014 à l’initiative de Béatrix Saule, alors directrice du château de Versailles, le programme de recherche a d’abord procédé à un état des lieux de l’art et des besoins. Le constat est clair : il n’existe aucune méthode de conservation adaptée au cas particulier des demeures historiques.
Mise en place et rodée de 2018 à 2020, la méthode versaillaise est désormais prête à être diffusée et utilisée dans les châteaux européens. Elle ne requiert pas un matériel de pointe ou de technologiques nouvelles ; pour la mettre en place, un personnel bien formé et un fichier Excel suffisent.
« La méthode est simple, mais pas simpliste », nuance Danilo Forleo, responsable scientifique du projet depuis ses débuts et régisseur des collections de Versailles. Epico permet d’évaluer l’état des collections en relation avec leur environnement et part des singularités de leur présentation dans chaque demeure historique : à Versailles, comme à Maintenon ou Fontainebleau, le fil directeur de l’organisation des collections est le respect de « l’esprit des lieux ». Il n’est pas question de consacrer une salle aux estampes, une autre aux collections lapidaires, ni de constituer un écrin spécifique pour la conservation des tissus, comme la norme l’impose dans un musée. Plusieurs matériaux, aux besoins de conservation en effet très différents, coexistent dans une même salle : boiseries, plafonds peints, peintures, sculptures, mobilier, etc.
Si cette caractéristique peut être une contrainte, elle s’avère aussi un avantage pour les conservateurs. Pleinement intégrés à leur environnement auquel ils sont « conaturés », les objets sont bien plus éloquents sur leurs conditions de conservation que dans un musée, où les détériorations des œuvres peuvent être le fait de conditions de conservation passées. « On peut plus facilement relier les altérations aux causes qui sont à la source, précise Danilo Forleo, on regarde d’abord les objets, leurs altérations, puis on met en lumière les causes environnementales. Un bon diagnostic, c’est le plus important pour une bonne conservation.» Si par le passé, les diagnostics dans les demeures historiques reposaient sur des observations environnementales, Epico préconise désormais de partir de l’objet.
Ou plutôt, des objets. Car l’échantillonnage représentatif est l’un des piliers de la méthode, qui donne une vision d’ensemble sur des espaces de conservation souvent étendus. « C’est comme quand vous menez une étude médicale sur une population, il faut toujours choisir des échantillons représentatifs », explique Danilo Forleo. En épidémiologie comme en conservation préventive, la représentativité statistique pondère les erreurs : un symptôme observé sur un objet dans un échantillon de trois peut être alarmant. Mais il faut le rapporter à une « population » plus vaste, comme l’ensemble cohérent d’une salle qui contient des centaines d’objets, pour en évaluer la gravité.
À Sintra (Portugal), Maintenon (France) comme à Sanssouci (Allemagne), les tests grandeur nature de cette méthode sont un succès. Epico est adopté par les équipes de conservation locales qui n’avaient pas une vision globale de l’état des collections. Cette méthode a permis de déceler des « pathologies » jusqu’alors sous-estimées, comme les problèmes d’infestation du Palais national de Queluz à Sintra. Elle permet aussi de rassurer des conservateurs inquiets : à Maintenon, les douves du château étaient considérées comme un facteur aggravant des problèmes d’humidité. Le diagnostic général des collections du château démontre au contraire que cet apport d’humidité compense avantageusement l’air sec des hivers de la Beauce. Et dans certains châteaux fonctionnant en départements étanches, à l’instar d’un musée, la méthode a permis aux conservateurs de travailler ensemble, et d’envisager le lieu comme un organisme global où de nombreux facteurs interagissent les uns avec les autres.
Cartographiés en différentes zones, les collections sont échantillonnées et les altérations constatées sont classifiées selon une liste de critères précis. C’est l’un des autres apports de la méthode : établir un langage commun pour décrire les altérations, minimisant l’impact – inévitable – de la subjectivité des conservateurs. Parmi ces critères, on retrouve les ennemis habituels de la conservation : lumière, humidité, poussière… On trouve aussi des critères spécifiques aux demeures historiques, comme « l’utilisation selon la fonction » : dans un château, on ouvre les fenêtres, on marche sur les parquets et on s’assoit parfois sur les banquettes, bien que ces éléments soient patrimoniaux.
En revanche, le flux des visiteurs ne fait pas partie des causes d’altération retenues : « On fait tout ça pour le public, rappelle le conservateur versaillais, ce serait un contre-sens de dire qu’il est un problème. La mauvaise gestion des visiteurs peut en être un, mais c’est toujours la question de l’équilibre entre conservation et valorisation. »
Ce bilan général peut être appliqué à toutes les demeures historiques (mais les propriétaires privés restent pour l’instant peu réceptifs) ainsi qu’aux monuments historiques et est à renouveler tous les trois ou quatre ans pour orienter le plan de conservation préventive. Le diagnostic en main et les problèmes de conservation mis en avant, il est plus facile pour les établissements de débloquer des financements, mais aussi de réaliser des économies en évitant de coûteuses restaurations. « Le restaurateur est le chirurgien, et nous sommes les médecins qui interviennent en amont », illustre Danilo Forleo. Et s’il file la métaphore médicale pour présenter le résultat de ses recherches, ce n’est pas un hasard : pour établir cette méthode, il s’est inspiré, entre autres, des protocoles utilisés en médecine. Outil de diagnostic préventif pour les objets dont il a la garde, la méthode EPICO est aussi pour lui un remède à ses angoisses professionnelles : « Quand vous gérez tant d’objets, tant de salles, avoir une méthode claire qui vise dans une direction, ça enlève un peu d’anxiété ! »
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Une nouvelle méthode de conservation préventive des collections
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°558 du 8 janvier 2021, avec le titre suivant : Une nouvelle méthode de conservation préventive des collections