Livre

Le livre d’art, ce continent inexistant

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 22 septembre 2021 - 587 mots

Bientôt les fêtes ! Éditeurs de livres d’art et libraires s’affairent aux derniers préparatifs : les premiers à sortir leurs ouvrages pour ne pas manquer cette période de vente décisive dans le compte d’exploitation annuel ; les seconds à faire de la place dans leurs rayons.

Passé ce moment clé, le secteur pourra retourner à sa somnolence jusqu’au Noël suivant… Ainsi va la vie du livre d’art, du moins sa survie. Sorties le 9 septembre, les Formes du visible [Seuil, 768 p., 35 €], livre qui entend bouleverser l’analyse esthétique et anthropologique des images, doit moins sa double page dans Le Monde des livres du 10 septembre à son sujet qu’à son auteur : Philippe Descola. Si la star de l’anthropologie française avait en effet appartenu au corps des historiens de l’art, le livre n’aurait eu le droit qu’à un entrefilet dans le supplément, au mieux. Et pour cause, le livre d’art reste encore cantonné aux dossiers de fin d’année des quotidiens et des magazines, y compris culturels, au moment des sélections de « beaux livres » à offrir pour les fêtes. Même les catalogues d’expositions, pourtant liés à des événements parfois médiatiques, ne trouvent pas davantage de relais dans les médias généralistes… Il faut bien admettre que le secteur ne pèse pas lourd. Selon un rapport du Syndicat national de l’édition publié en octobre 2020, le segment « Art et beaux livres » ne représente que 2,6 % des parts du marché de l’édition avec un chiffre d’affaires de 69,2 millions d’euros en 2019-2020, loin derrière la « Littérature » (21,5 % des parts du marché et 571,8 M€ de CA) et la « Jeunesse » (13,2 % et 351,2 M€). Mais cela ne suffit pas, en réalité, à expliquer le peu d’intérêt porté à l’édition d’art. Le segment « Documents, actualité, essais », qui se hisse péniblement au-dessus du livre d’art (3,8 % pour 102,4 M€), truste, en revanche, les pages Livres des journaux et des magazines à longueur d’année. Pourquoi le livre d’art est-il si mal aimé ? Éric de Chassey formule plusieurs éléments de réponse : l’absence de relais dans les médias, la frilosité des historiens de l’art à prendre la parole dans le débat public, un préjugé tenace qui voit dans l’histoire de l’art une discipline socialement élitiste, sans oublier l’absence de formation esthétique du public. « Pour beaucoup de nos concitoyens, l’histoire de l’art est un continent inexistant, analyse le directeur général de l’INHA. Tant que les gens n’y seront pas formés, ils ne sauront même pas que la discipline existe » [lire aussi p. 20]. Mais l’édition porte sans doute aussi sa part de responsabilité. « Il y a toujours la crainte que l’art soit ennuyeux et qu’il faille donc simplifier », regrette Sébastien Planas, qui aimerait davantage de livres de fonds, écrits sur le temps long. Pour le fondateur du Filaf (Festival international du livre d’art et du film) : « D’un côté, il n’y a jamais eu autant de livres édités sur l’art ; de l’autre, les éditeurs prennent de moins en moins de risques dans le choix des sujets. » Alors, la résistance s’organise : création du Filaf en 2011, multiplication des prix (SNA du livre d’art, Pierre Daix, du livre d’art d’Ajaccio, de l’Aica avec le soutien de la Fondation Antoine de Galbert, Dummy Books Award…), conférences, etc. L’INHA relance ainsi ce mois-ci, en partenariat avec le magazine L’Œil, ses « Dialogues de la salle Labrouste », mais dans un nouveau format, plus vivant et destiné à un public le plus large possible : « L’art entre les lignes ». Le livre d’art n’a peut-être pas dit son dernier mot…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Le livre d’art, ce continent inexistant

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