Le livre devait accompagner la très attendue exposition prévue à la Fondation Louis Vuitton cet hiver.
La manifestation « blockbuster » ayant été reportée en mai pour des raisons sanitaires, la biographie des frères Morozov permet de patienter et de se mettre en appétit. Elle permet surtout de se plonger avec délice dans une extraordinaire saga philanthropique ; une saga étrangement aussi passionnante que méconnue. Qui de mieux placé pour raconter cette incroyable aventure que l’historienne de l’art Natalia Semenova ? Spécialiste de la peinture russe et française moderne, elle fait aussi référence pour l’histoire des collectionneurs russes. On lui doit notamment un ouvrage remarquable sur la dynastie Chtchoukine, la famille qui a longtemps fait de l’ombre aux Morozov.
Il faut dire que les deux familles ont connu des destins fort similaires. Toutes deux ont en effet fait fortune dans le textile, puis constitué des collections d’art moderne, collections dont elles ont été spoliées par les bolchéviques, avant d’être dispatchées dans les grands musées du pays dans les années 1960. Des collections quasi jumelles qui comptent des œuvres des mêmes artistes : Cézanne, Gauguin ou Matisse, sans oublier Van Gogh. Mais alors que la collection Morozov est mieux documentée, la postérité aura davantage retenu le nom de Chtchoukine. Pour l’auteur, cela s’explique par « l’histoire tragique de [la] famille, marquée par trois suicides, [...] qui ne pouvait que captiver les biographes ». Mais l’historienne analyse également cette différence de réception par la nature des collections. Car si elles abritent les mêmes artistes, elles ne privilégient pas le même type d’œuvres, celle de Chtchoukine étant « plus pointue et plus radicale que celle de Morozov », reconnaît la biographe. Avant de souligner que « ce qui rend unique cette dernière, c’est qu’elle représente pratiquement tout l’éventail de la peinture française et russe à la lisière des XIXe et XXe siècles ».
Natalia Semenova relève le pari de rendre justice à cette fratrie de collectionneurs en soulignant la pertinence de ses choix, tout en nous faisant partager l’intimité d’Ivan et Mikhaïl, photographies et archives à l’appui. L’auteure rend ainsi un vibrant hommage à ces petits-fils de serfs que rien ne prédestinait à devenir d’immenses collectionneurs et des mécènes incontournables. Elle honore ainsi la promesse faite à l’arrière-petit-fils d’Ivan, Pierre Konowaloff, de raconter l’histoire de ses aïeuls et de leur rendre enfin la place qu’ils méritent.
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La saga des Morozov
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Abonnez-vous dès 1 €Natalia Semenova, Les frères Morozov, collectionneurs et mécènes, 313 p., 22,80 €, éditions Solin /Actes Sud, 2021
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : La saga des Morozov