PARIS
Désormais consultables sur le site internet des Archives nationales, les photos des gouvernements de la IVe et de la Ve République révèlent, les unes après les autres, l’exercice d’une communication très codifiée, et s’avèrent être un édifiant baromètre du pouvoir en place.
Paris. Les Archives nationales viennent de mettre en ligne les clichés des principaux gouvernements de la IVe et de la Ve République. Feuilleter ces « photos de famille », comme on les appelle traditionnellement, c’est explorer plus d’un demi-siècle d’histoire de la communication politique. Car derrière des apparences très standardisées, ces images trahissent en filigrane l’évolution de l’exercice du pouvoir et, plus largement, de la société française.
Exercice très codifié, le portrait collectif du gouvernement est une tradition qui remonte à la IIIe République. La première prise de vue de l’équipe gouvernementale, rassemblée autour du président de la République, date en effet de 1922 lors de la constitution du gouvernement Poincaré II. Cette image fondatrice a posé les bases de la photo de famille ; à savoir un cliché pris, le plus souvent, sur le perron de l’Élysée, côté cour ou côté jardin, à l’occasion du premier Conseil des ministres. Le cliché le plus ancien conservé aux Archives date cependant du mandat de Vincent Auriol, puisqu’il s’agit du premier gouvernement Ramadier immortalisé en 1947 [voir illustration].
Alors que le portrait officiel du chef de l’État est souvent réalisé par une célébrité (Jacques-Henri Lartigue pour Valéry Giscard d’Estaing, Bettina Rheims pour Jacques Chirac ou encore Raymond Depardon pour François Hollande), les clichés des gouvernements sont l’œuvre de photographes restés anonymes. Initialement ce cliché était pris par des agences de presse, puis par le service photographique de la présidence de la République et celui du cabinet du Premier ministre.
Une formule de principe et des variantes pleines de sens
Autre différence notable avec le portrait du chef de l’État, ces clichés extrêmement sobres ne contiennent pratiquement pas d’éléments distinctifs. Dans le sillage du portrait monarchique, celui du chef de l’État abonde en effet en détails symboliques destinés à transmettre un message sur la personnalité du portraituré (livres, objets personnels, œuvres d’art). Les photos de famille frappent au contraire par leur standardisation ; les poses et les éléments de décor sont ainsi presque interchangeables. Ces clichés aux faux airs de photos de classe obéissent en effet à des règles protocolaires strictes, ce qui limite d’autant la mise en scène. Les gouvernements successifs ont toutefois tenté d’imposer leur patte avec des choix novateurs, incarnant une rupture métaphorique avec leurs prédécesseurs, censée souligner la modernité du pouvoir en place.
La formule la plus usitée est celle du couple exécutif placé au centre, au premier rang, encadré par l’équipe gouvernementale selon la hiérarchie protocolaire. Les ministres d’État posant au premier rang, suivis des ministres, puis des secrétaires. En bref, comme sur une photo de mariage ; plus on pose près du couple, plus on est une personnalité importante. François Mitterrand avait rompu avec la tradition en posant seul au premier rang avec ses premiers ministres successifs [voir illustration], une façon de suggérer visuellement la proximité avec son Premier ministre et de créer une distance avec les ministres. Les autres chefs de l’État ont plutôt plébiscité la formule de la mêlée ; c’est-à-dire le couple exécutif posant au premier rang au milieu du gouvernement, le tout dans un agencement assez serré afin d’évoquer l’image d’une équipe qui fait corps.
Si la formule du gouvernement au grand complet est la plus commune, on trouve cependant des cas où le couple exécutif pose en petit comité comme dans la photo du premier gouvernement Fillon. Un format atypique qui veut donner le sentiment d’un gouvernement resserré composé de lieutenants faisant bloc autour du couple exécutif. Cet exercice codifié représente aussi un moment de communication politique ; les choix de mise en scène et de décor constituant autant de messages envoyés aux électeurs.
Plus que la mise en scène, qui varie peu in fine durant la période 1947-2012, la principale source de singularité est le choix du lieu de prise de vue. Les premières photographies ont ainsi été prises devant l’Élysée. En 1951, le deuxième gouvernement René Pleven [voir illustration] se singularise avec un étonnant cliché devant le château de Rambouillet, alors résidence présidentielle notamment destinée à l’accueil des invités étrangers de marque. Cette image atypique montre, non pas une équipe austère comme dans les clichés précédents mais, un groupe assez détendu marchant dans les jardins. Une photographie sur laquelle souffle un esprit de villégiature et résonne une ode au patrimoine national, dans une France en pleine reconstruction. Cette incursion en dehors de Paris ne fait toutefois pas long feu, car les gouvernements ultérieurs regagnent l’Élysée, posant sur le perron du palais, puis à partir de Guy Mollet (1956) [voir illustration] à l’intérieur du palais, dans la salle des fêtes. La photographie de ce gouvernement, puis celle du gouvernement Gaillard (1957-1958) surprennent par la posture des ministres qui sont assis dans cette luxueuse salle où trônent deux immenses lustres.
Un outil de communication
Pour rompre symboliquement avec la IVe République, le général de Gaulle choisit un autre lieu et une autre attitude. Les ministres prennent ainsi la pose debout dans le jardin d’hiver. Une configuration immuable reprise par les différents gouvernements du général et sous Georges Pompidou. Seul déroge à la règle le dernier gouvernement de l’ère Pompidou, Messmer III, qui est immortalisé autour de la table du Conseil des ministres. Alors que le président est gravement malade, le message est clair : la France est entre de bonnes mains, car l’équipe gouvernementale est en plein travail. Cette idée du gouvernement affairé inspire un des protagonistes du cliché, Valéry Giscard d’Estaing [voir illustration] qui l’adopte une fois arrivé aux responsabilités. Les quatre gouvernements successifs de son mandat reprendront cette formule en variant les compositions. La photographie du premier gouvernement Chirac (1974-1976) marquera d’ailleurs les esprits par son cadrage moderne. L’équipe gouvernementale semble en effet saisie sur le vif en train de travailler. Le message est limpide : les membres du gouvernement sont pleinement à leur tâche et n’ont pas le temps de poser. Il faudra attendre l’accession au pouvoir de François Mitterrand pour que l’équipe prenne à nouveau la pose sur le perron du palais. Le président renoue alors avec une certaine solennité, tout en introduisant une nouveauté de taille : la couleur.
Uniformité et parité
Mais plus qu’un arc-en-ciel, ce cliché pris lors de la constitution du premier gouvernement Rocard (1988) montre surtout un camaïeu de teintes neutres oscillant entre le gris et le noir. La tenue des membres du gouvernement est ainsi très uniformisée et se limite le plus souvent au costume et cravate foncés ; dans cet univers austère les rares touches de couleur sont apportées par les toilettes féminines. Si la grande étole violette de Christine Lagarde, les tailleurs pastel des fameuses « Juppettes » ou la veste rouge vif de Martine Aubry ont marqué notre imaginaire visuel, c’est justement car ils se démarquent dans cette marée de costumes masculins sombres. Cette rareté met d’autant plus en lumière l’absence des femmes dans cet album de famille qui trahit leur difficile accession aux plus hautes marches du pouvoir. La première à véritablement imprimer la pellicule est Simone Veil avec son incontournable chignon, qui occupe le centre de la photographie du deuxième gouvernement Raymond Barre (1977). En feuilletant ces photos, on voit le nombre de femmes augmenter, d’abord timidement, puis de manière plus conséquente ; jusqu’à atteindre la parité sous Hollande. La comparaison entre le premier et le dernier cliché du corpus est saisissante. Totalement absentes de la première photo 100 % masculine, les femmes ont progressivement accédé à l’exercice du pouvoir. Cet album offre ainsi un précieux condensé de soixante-cinq ans d’histoire du pouvoir qui en dit long sur l’évolution de la société française.
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La République feuillette son album de famille
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : La République feuillette son album de famille