Après « Livres des deux rives », l’Institut français va poursuivre son aide à la traduction et à la diffusion de livres arabes.
Paris. La langue arabe compte un peu plus de 430 millions de locuteurs, ce qui en fait la cinquième langue la plus parlée au monde. En France, plusieurs centaines de milliers de personnes parlent l’arabe, et l’Hexagone entretient des liens étroits avec nombre de pays arabophones. Mais si les Français connaissent quelques auteurs arabes, l’immense majorité de la production intellectuelle en arabe n’est jamais traduite. Les ouvrages qui le sont appartiennent au genre romanesque et à la théologie, selon la revue universitaire Cahier du GIS [Groupement d’intérêt scientifique] no 4, publiée à l’été 2022 (« Traduire les sciences humaines et sociales entre l’arabe, le turc et le persan »).
Il manque donc des initiatives pour traduire et diffuser les ouvrages publiés dans les pays arabophones, notamment en sciences humaines. Le programme « Livres des deux rives » a fait également le constat que le marché du livre est peu structuré au Maghreb, et que la France a un rôle à jouer sur ce terrain. Selon Émilie Boucheteil, directrice de la création artistique et des industries culturelles à l’Institut français (IF) de Paris, le programme est né de « l’impulsion politique initiée par Emmanuel Macron au Sommet des deux rives à partir de 2019 » ; il est destiné à renforcer « la coopération culturelle en Méditerranée occidentale ». Le président de la République a d’ailleurs réitéré son soutien aux ICC (industries culturelles et créatives) du Maghreb lors de son voyage en Algérie en août 2022.
Fort d’un confortable budget de 1 million d’euros sur deux ans, le programme intervient aussi en amont de la publication, sur la traduction. Comme le souligne Émilie Boucheteil, « les éditeurs français peinent à identifier des traducteurs de et vers l’arabe, et les éditeurs des deux rives défendent la nécessité de soutenir la professionnalisation des traducteurs » ; plusieurs ateliers pour les traducteurs professionnels ont ainsi été organisés en 2021 et 2022, en France et au Maghreb. Il s’agit aussi d’attirer de nouveaux traducteurs, d’où un volet de « sensibilisation aux enjeux de la traduction littéraire de l’arabe destiné aux étudiants et aux professionnels ».
L’autre volet du programme concerne la publication et diffusion en France d’ouvrages écrits en arabe, dans les domaines des sciences humaines, de la littérature, de la BD et de la littérature jeunesse. En deux ans, les experts choisis par l’IF Paris ont reçu une centaine de dossiers et ont retenu vingt-cinq ouvrages publiés au Maghreb. Parmi ceux-ci, deux BD de la maison d’édition marseillaise Alifbata, dirigée par Simona Gabrieli. L’éditrice spécialiste de BD arabe se félicite du soutien apporté par Livres des deux rives tout en rappelant que les deux ouvrages étaient des coéditions : « Il s’agissait dès le début de publier à la fois les BD en arabe à Tunis avec un petit éditeur, et en français via ma maison d’édition. » La première BD (Une révolte tunisienne, 2021) a reçu 6 000 euros dans le cadre du programme, la seconde (Point zéro, prévue en 2023), 8 000 euros environ. Simona Gabrieli précise que ce montant couvre « la traduction, les frais d’impression en Tunisie pour la version arabe, les droits d’auteur, et une aide plus concrète comme les frais de séjour pour les auteurs venus en France ».Enfin ce programme permet des rencontres professionnelles entre éditeurs arabes et français, voire entre éditeurs arabes du Maghreb. « Le secteur du livre au Maghreb n’est pas structuré en tant qu’ICC, rappelle Émilie Boucheteil. Les éditeurs sont souvent des petites structures indépendantes, et la chaîne du livre est moins établie qu’en France. »
Un constat partagé par le Cahier du GIS, dont les contributeurs soulignent les difficultés des éditeurs arabes pour diffuser les ouvrages dans leur pays ou à l’étranger, et le manque de données fiables au vu de la désorganisation du secteur de l’édition au Maghreb. Même constat pour Simona Gabrieli qui estime que les rencontres du programme ont permis « une mise en réseau très efficace. C’est comme ouvrir une fenêtre sur les pays du sud de la Méditerranée pour les éditeurs français ». Elle envisage désormais « de nouvelles collaborations » avec d’autres éditeurs du Maghreb. Émilie Boucheteil insiste de son côté sur la réaction « très positive » des éditeurs arabes et français, satisfaits des rencontres et ateliers organisés par l’IF Paris.
« Livres des deux rives » s’arrête au printemps 2023, mais, d’après Émilie Boucheteil, d’autres initiatives verront le jour pour continuer à soutenir le livre dans le monde arabe, qui reste « un sujet prioritaire » au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. L’Élysée soutient également le programme dans la durée, puisqu’en février 2022 le président évoquait publiquement « des projets d’édition, des projets de traduction que nous allons continuer à faire avancer».
Si ce programme a donné de bons résultats, le secteur du livre arabe souffre de problèmes structurels que l’IF Paris ne peut régler à lui seul. Parmi ces problèmes, le peu d’attractivité pour la traduction de l’arabe au français, en raison des tarifs très bas pratiqués au Maghreb par les éditeurs, ou la focalisation des éditeurs français sur les romans arabes. Sur ce dernier point, les contributeurs de Cahier du GIS soulignent que très peu d’ouvrages de sciences humaines et sociales (une trentaine) ont été traduits de l’arabe entre 1989 et 2009, car il y a « une domination de la fiction arabe » dans les ouvrages traduits. Concernant les traducteurs, les auteurs estiment cependant que « les traducteurs arabe-français sont plus nombreux en France aujourd’hui », un signe positif pour l’avenir.
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La France conforte son soutien aux éditeurs arabes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°603 du 20 janvier 2023, avec le titre suivant : La France conforte son soutien aux éditeurs arabes