La baisse des acquisitions est très marquée dans les musées municipaux. Peu de chefs-d’œuvre sont entrés dans les collections des musées en régions et dans ceux de la Ville de Paris.
Si les années 2012 et 2013 ont été riches en acquisitions dans les musées des collectivités territoriales, il faut bien avouer que peu de « chefs-d’œuvre » médiatisés ont fait leur entrée dans les collections en 2014. D’un point de vue strictement financier, selon les informations recueillies par Le Journal des Arts dans son Palmarès 2014, les musées territoriaux et municipaux se sont enrichis de plus de 300 000 œuvres et objets cette année, pour une valeur totale (achats et libéralités) de 18 millions d’euros (environ 9 millions d’euros en achats), contre 24 millions d’euros en 2013 : la baisse est conséquente.
Une partie de cette chute est imputable à la baisse des crédits déconcentrés de l’État : l’évolution des subventions de l’État aux acquisitions des musées en région par l’intermédiaire des Fram (Fonds régional pour l’acquisition des musées) a chuté depuis 2009, passant de 3,84 millions d’euros à 1,16 million d’euros en 2014, après une coupe drastique en 2013. Il est à noter également que le Fonds du patrimoine qui complète ces crédits déconcentrés est passé de 1,1 million d’euros en 2013 à 130 000 euros en 2014. Lorsque l’on sait que les financements conjoints (État, régions, départements, municipalités) sont déterminants pour déclencher un achat d’envergure, la diminution des crédits des Fram, qui aident à l’acquisition d’œuvres dont le coût ne peut être supporté par une collectivité seule, devient de plus en plus problématique.
Montpellier et Lyon en première ligne
Il faut ici saluer les politiques volontaristes de certaines collectivités, à l’instar de la Métropole Montpellier qui, chaque année, débourse des montants conséquents pour enrichir le Musée Fabre. En 2014, l’institution a acquis deux très belles peintures anciennes, une toile caravagesque de Jean Tassel (La Diseuse de bonne aventure, vers 1645) pour 162 000 euros, et Renaud et Armide de François-André Vincent (vers 1787) acheté à Drouot après préemption de l’État pour un montant de 184 000 euros (avec l’aide du Fram Languedoc Roussillon). Bénéficiant d’une enveloppe pour ses acquisitions tournant autour des 400 000 euros par an, à laquelle s’ajoutent les fonds issus de la Fondation d’entreprise du Musée Fabre, l’institution montpelliéraine est bien au-dessus de la moyenne des musées français. En 2014, le montant total des acquisitions du musée s’élève ainsi à 530 000 euros, dont 390 000 euros d’achats : un ratio inverse de la grande majorité des musées, pour lesquels les dons et libéralités forment bien souvent la majeure partie des acquisitions.
Suivre les ventes, surveiller les alertes, les mises en marché, rencontrer les ayants droit des artistes, tisser des liens étroits et particuliers avec les artistes vivants, fréquenter les grandes galeries, discuter avec les marchands d’art, remporter – ou perdre – des enchères face aux grands musées internationaux : acquérir des œuvres est une activité discrète, mais importante pour un conservateur. Les acquisitions sont devenues aujourd’hui de vraies thématiques d’exposition, alors que le public est de plus en plus mobilisé pour les achats par l’intermédiaire des souscriptions publiques. Au Musée des beaux-arts de Lyon, la directrice Sylvie Ramond a été une des pionnières dans les financements croisés, entre fonds propres, subventions publiques, mécénat d’entreprise et appels aux dons de particuliers. Fin mai s’est ouvert à Lyon l’exposition « Dix ans d’acquisitions. Dix ans de passion » : depuis 2004, 580 œuvres ont enrichi le musée, parmi lesquelles La Fuite en Égypte de Poussin (2007), L’Arétin et l’Envoyé de Charles Quint d’Ingres (2013, grâce à une souscription publique auprès de 1 500 donateurs) ou encore L’Abreuvoir de Fragonard en 2013. Une exposition riche qui vient relativiser le manque de « star » dans la moisson 2014, en attendant l’année 2015 : le musée lyonnais lorgne L’Homme au béret noir tenant une paire de gants (1530) du Franco-Hollandais Corneille de Lyon, estimé à 566 000 euros. Une souscription publique a été lancée en décembre dernier et rallongée en mars pour réunir les 250 000 euros nécessaires au bouclage du budget d’acquisition.
Le réseau de Fabrice Hergott
À Paris, les quatorze établissements de Paris Musées se partagent une enveloppe maigrelette de 850 000 euros environ, la moitié étant allouée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP). À la tête de ce dernier, le directeur Fabrice Hergott peut compter sur un allié de poids en la personne de Christian Langlois-Meurinne, P.-D.G. de la société d’investissement IDI et président de la Société des amis du musée. Ce financier, mécène et collectionneur, a lancé des comités d’acquisitions avec un ticket d’entrée d’au moins 5 000 euros en faisant jouer son carnet d’adresses dans le monde des affaires, à l’image des institutions américaines. En 2014, pour le compte du musée, sa société a acheté Composition, une toile d’Otto Freundlich, pour un montant de 500 000 euros, défiscalisés en majeure partie dans le cadre dela loi Mécénat. Depuis l’arrivée de Fabrice Hergott au MAMVP, sur les quelque mille œuvres entrées dans les collections, près de 800 sont liées à des donations. En matière d’art moderne et contemporain, les directeurs de musées sont dans l’obligation de s’en remettre à la générosité des artistes et de leurs ayants droit. Le plus souvent historiens d’art, les conservateurs ont, par le biais de leur carrière et de leurs sujets de recherches, noué des liens avec les artistes ou leurs familles, courus les salons des particuliers à la recherche des œuvres méconnues d’un catalogue raisonnés. À Roubaix, le Musée de la Piscine peut se targuer d’avoir enregistré plus de 180 nouvelles œuvres en 2014, estimées au total à plus d’1,2 million d’euros, pour un budget d’achat de 180 000 euros en cultivant ses liens avec les familles d’artistes tels que Robert Droulers, Édouard Pignon, André Maire ou Robert Wehrlin. Pas forcément des œuvres très médiatiques, mais essentielles dans les jalons de l’histoire de l’art.
Les dons d’artistes
Il faut aussi savoir séduire un artiste et le convaincre, à l’occasion d’une exposition, de faire don d’une ou plusieurs œuvres à son musée : à l’issue d’une exposition à Antibes en 2014, le Musée Picasso a reçu du photographe David Douglas Duncan un ensemble de 161 photographies, valorisées chacune à hauteur de 1 000 euros pièces. Ces clichés, représentant Jacqueline et Pablo Picasso à Cannes dans leur villa La Californie au cours des années 1955-1961, seront présentées par roulement dans une salle dédiée. À Lyon, c’est le Musée d’art contemporain qui a réussi à séduire l’artiste islandais Erró : Silver Surfer Saga, une toile de trois mètres par cinq mètres, réalisée en 1999, ainsi qu’une centaine de dessins et de collages pour une valeur estimée à 719 000 euros, ont été offerts pas l’artiste avant la grande rétrospective que le musée lui a consacrée durant l’hiver. Les musées d’Angers ont quant à eux reçu une donation de Laurent Millet, quatre séries photographiques réalisées entre 1997 et 2005 (estimées à 163 800 euros) : pour le Musée des beaux-arts qui a organisé une rétrospective de l’artiste en 2014, cette acquisition vient enrichir un fonds de photographie contemporaine encore jeune.
Avec des budgets diminuant d’année en année, les coupes budgétaires réalisées depuis 2012 se font concrètement sentir en 2014. Seule la générosité des donateurs, entreprises, particuliers, artistes, maintient désormais l’enrichissement des collections. Dans le domaine, les directeurs de musées vont être obligés de faire leurs preuves.
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Une année de basses eaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Une année de basses eaux