Le paiement en espèces de l’achat d’œuvres d’art doit être refusé au-delà d’un certain seuil et déclaré par le professionnel sous peine de sanctions, notamment pénales.
La récente suspension de l’opérateur Gros & Delettrez sonne comme un rappel opportun pour nombre de professionnels du marché, des modalités de règlement des objets vendus. En effet, le commissaire-priseur parisien Henri Gros avait accepté un versement en espèces de 200 000 euros d’un client chinois dans le cadre de la vente de la collection Paul-Louis Weiller en 2011. La tentation d’accepter une telle modalité de paiement, aussi forte qu’elle soit au sein d’un marché internationalisé et aux habitudes spécifiques, ne peut néanmoins avoir cours en France. Si le refus d’un paiement en espèces est passible d’une contravention de 150 euros, un double plafond est légalement prévu afin de prévenir toute tentative de blanchiment d’argent. Ainsi, au terme des articles L. 112-6, D. 112-3 et D. 112-4 du code monétaire et financier, ce plafond est fixé à 3 000 euros pour les personnes qui possèdent leur domicile fiscal en France et pour tous les professionnels, domiciliés ou non en France, et à 15 000 euros pour les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France et qui n’agissent pas dans le cadre de leur activité professionnelle. Cependant, la mise en œuvre de ce second seuil exige la présentation d’un justificatif de domiciliation fiscale du client et de son passeport. Enfin, il s’élève à 500 euros en ce qui concerne les transactions portant sur les métaux, ferreux ou non ferreux. Ces seuils pourraient, à terme, être abaissés en raison de la transposition de la directive européenne du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Par ailleurs, ces plafonds concernent le montant global de la dette à payer. À cet égard, le Conseil des ventes volontaires rappelle opportunément qu’il est également interdit à l’opérateur d’accepter un paiement fractionné, en espèces à hauteur du plafond concerné et à l’aide d’un autre moyen de paiement pour le solde restant, ou encore de scinder un bordereau pour produire plusieurs factures.
Au-delà, la proposition formulée par un acheteur de régler en espèces pour un montant supérieur aux seuils légalement prévus constitue un comportement à risque, susceptible de dissimuler un blanchiment de capitaux. Dès lors, le professionnel du marché de l’art, opérateur de ventes volontaires ou antiquaire, doit effectuer une déclaration de soupçon à l’organisme du ministère de l’Économie et des Finances Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), sous peine de sanctions disciplinaires et pénales pour le premier, uniquement pénales pour le second. En effet, l’article L. 561-15 du code monétaire et financier emporte pour les professionnels l’obligation de déclarer les sommes ou opérations dont ils « savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme ». Le spectre très large de situations prévues par la loi fait entrer le paiement en espèces pour des sommes importantes dans le cadre des dispositions Tracfin.
La procédure de déclaration de soupçon
Afin de procéder à une déclaration de soupçon, l’opérateur de ventes volontaires doit désigner un correspondant et un déclarant auprès de l’organisme de lutte contre le blanchiment et auprès du Conseil des ventes volontaires, fonctions qui peuvent être assurées par une seule et même personne. La procédure est soit dématérialisée, avec un formulaire disponible sur Internet, soit réalisée par courrier. Une telle déclaration devra alors contenir les éléments d’identification de l’opérateur, les éléments d’identification et de connaissance du client, et s’accompagner d’un descriptif précis et motivé des opérations suspectes concernées. Si la déclaration doit être habituellement effectuée avant toute transaction, il est possible d’y procéder a posteriori, notamment lorsque le report peut faire obstacle au bon déroulement des investigations. Dès lors que l’opérateur a réalisé une déclaration de soupçon de bonne foi, il ne pourra voir engager sa responsabilité civile au titre du préjudice subi par le vendeur ou l’acheteur, ni sa responsabilité disciplinaire. Surtout, la déclaration de soupçon lui permettra de faire valoir plus aisément son absence d’intention frauduleuse et sa bonne foi en cas de mise en cause pour des faits de fraude, blanchiment de capitaux ou financement du terrorisme. Ainsi, l’élément intentionnel de l’infraction de blanchiment faisant défaut, l’opérateur ne pourra se voir condamner à dix ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende. En définitive, face à un paiement en espèces pour un fort montant, il convient de refuser puis de déclarer. Pourtant, seulement onze opérateurs de ventes volontaires ont saisi Tracfin en 2011 et, depuis 2006, aucun antiquaire n’a procédé à la moindre déclaration...
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Transactions - Attention aux paiements en espèces
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°398 du 4 octobre 2013, avec le titre suivant : Transactions - Attention aux paiements en espèces