Design - Foire & Salon

Salon de Milan 2012 : L’âge de raison

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 1710 mots

MILAN / ITALIE

Le 51e Salon international du meuble, d’une meilleure qualité d’ensemble, présente des projets plus aboutis. L’événement est l’occasion, pour la ville de Milan, d’ouvrir ses palais à une multitude d’expositions.

MILAN - Étrange ambiance lors de ce 51e Salon international du meuble de Milan, qui vient de se dérouler du 17 au 22 avril. Pas de franc déploiement festif dans les rues de la capitale lombarde, comme à l’habitude, mais une atmosphère plus « flegmatique », sans doute due aux temps austères auxquels se prépare l’Italie de l’après-Berlusconi face au poids des mesures draconiennes que prend le nouveau chef du gouvernement transalpin, Mario Monti. Paradoxe pourtant : même si la FederlegnoArredo – Fédération italienne des entreprises du bois et du meuble – a annoncé un chiffre de production en baisse de 4,2 % l’an passé par rapport à 2010, le nombre de visiteurs, aurait, selon le Cosmit, organisateur du Salon, augmenté de 3,5 % par rapport à l’an dernier (lire le JdA no 346, 29 avril 2011), pour s’élever à 331 649.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la crise a aussi des bons côtés. À preuve : moins de prototypes présentés, moins de surenchère, mais des projets plus aboutis, donc une meilleure qualité d’ensemble. Exemple : la firme italienne Kartell qui, l’an passé, s’exhibait sur un stand des plus délirants avec néons colorés façon Las Vegas, rentre cette année dans le rang avec une scénographie anthracite et agencée au cordeau. Point de show donc, mais une présentation didactique, voire quasi « muséale » : le produit, des maquettes, des esquisses, des vidéos explicatives des designers. Idem chez le fabricant italien Zanotta qui, outre ses nouveautés, affichait avec force détails (croquis, maquettes…) des pièces aujourd’hui devenues emblématiques, tels le tabouret Mezzadro d’Achille et Pier Giacomo Castiglioni ou l’insensée chaise Singer de Bruno Munari. Bref, un brin de culture ne nuit point.

Réinterpréter les maîtres
Moins pédagogues, des galeristes préfèrent surfer sur la cote de certains « maîtres » plutôt que sur leur génie, et ce, avec la bénédiction des ayants droit. Ainsi en est-il de l’éditeur helvète Vitra, qui s’est associé avec le fabricant de jeans G-Star pour « réinterpréter » (sic) des meubles de Jean Prouvé, tels un fauteuil de salon ou le bureau Trapèze. Même si l’on a échappé au pire, la version « jean – prononcer djinn – Prouvé », cette série n’a rien d’excitant. Vitra courrait-elle après l’éditeur italien Moroso, lequel produit pour un autre fabricant de jeans, Diesel, la collection de mobilier « Successful Living » qui, paraît-il, est un succès ? De son côté, l’entreprise transalpine Cassina poursuit l’édition de meubles signés Charlotte Perriand avec, cette fois, l’étagère Nuage. En parallèle, histoire de noyer le poisson, la firme a réalisé un projet, pour l’heure moins commercial : la construction du refuge-tonneau que la designeuse française avait imaginé en 1938, mais qu’elle n’avait pu concrétiser. L’objet est, certes, éminemment séduisant, mais quid de sa fonction réelle, hormis faire de l’image ?
En regard des plus de 450 événements off recensés, une sélection drastique s’impose. Sous la houlette de son nouveau sindaco [« maire »], Giuliano Pisapia – à la tête, depuis le 1er juin 2011, d’une coalition de centre-gauche –, la ville a voulu, à l’occasion du Salon, montrer ses plus beaux atours en ouvrant palais et musées. Ainsi, le palazzo Clerici, splendeur du XVIIIe siècle, a-t-il accueilli une exposition consacrée au design du futur (lire page 15). L’étonnant Musée national de la science et de la technologie, abritant locomotives, avions et sous-marins, a, lui, hébergé une flopée de présentations britanniques, dont diverses réalisations du grand manitou de l’événement, Tom Dixon, en petite forme créative.
En parallèle, le Fondo Ambiente Italiano – fondation nationale qui gère, depuis 1975, des « bijoux » du patrimoine italien – a ouvert les portes de la villa Necchi-Campiglio, construite en 1935 par l’architecte Piero Portaluppi, à une exposition orchestrée par Fabrica, le centre de recherches artistiques de la firme italienne Benetton. La présentation contemporaine – des objets chichiteux – était sans intérêt, le lieu, en revanche, est une merveille de l’Art déco, que l’on peut visiter toute l’année (1).
Si les Philippe Starck, Patricia Urquiola, Jasper Morrison et consorts sont évidemment présents, une fois n’est pas coutume, le designer qui, cette année, se hisse sur la plus haute marche du podium est un représentant de la nouvelle génération : Oki Sato, Japonais âgé de 35 ans né à Toronto (Canada) et plus connu sous son nom de scène « Nendo », l’agence qu’il a fondée à Tokyo il y a dix ans à peine. Son nom est sur toutes les lèvres, et lui omniprésent : expositions monographiques, scénographie et salle de bains complète pour le mosaïste Bisazza, sans oublier une multitude de meubles – Moroso, Flaminia… Cet engouement a de quoi étonner tant sa production est inégale. De même pour l’Israélien Ron Gilad, 40 ans, dont l’exposition « La ligne, l’arc, le cercle et le carré » à la galerie Dilmos a tout de la démonstration verbeuse. Un Italien, en revanche, tire son épingle du jeu : Luca Nichetto, 36 ans. Œuvrant pour moult marques (Cassina, De Padova, Established & Sons, Offect, La Chance, Casamania…), il se positionne comme le porte-drapeau de la nouvelle garde transalpine. Le designer à suivre néanmoins n’est autre que l’Anglais Benjamin Hubert, 28 ans. Curieusement, ce dernier a remporté le concours international organisé par la firme italienne Poltrona Frau pour son centenaire avec une assise plutôt « flasque », le fauteuil Juliet, « réinterprétation du capitonné », alors qu’il est capable du meilleur comme avec la table Pontoon (Casamania), d’une incroyable élégance.

Le Japon se démarque
Crise ou pas, le Salon sert toujours de rampe de lancement pour des nouvelles marques, à l’instar, cette année, de l’italienne Discipline et de la française La Chance. Plusieurs pays ont fait vibrer la fibre nationale, comme la Belgique à La Triennale ou l’Autriche dans l’espace de la Pelota. Sans oublier la France qui, pour la première fois, s’est déployée sous le label « France Design » en investissant 1 200 m2 du Padiglione Visconti, dans la Zona Tortona, où sont mixés travaux d’étudiants, recherches de designers et produits finis. Problème : entre une exposition peu enthousiasmante proposée par le grand ordonnateur de la manifestation, le VIA – cellule recherche de l’Union nationale des industries françaises de l’ameublement –, une présentation pas plus convaincante montrant des projets conçus par neuf designers avec un matériau ingrat, la fibre de tronc de bananier, et un choix d’entreprises à la production inégale, voire effrayante, l’ensemble était pour le moins bancal. S’il est une contrée, cependant, qui sort du lot : c’est le Japon, avec un beau tir groupé. Ainsi, l’exposition « Japan Creative », au Museo Minguzzi, présentait une série de projets imaginés par des designers européens mais façonnés par des artisans nippons, dont cette vaisselle à la sublime facture dessinée par la Française Inga Sempé et réalisée par les céramistes de Koubei-gama. Le fabricant de bois Karimoku, lui, arborait de nouveaux prototypes, la table Soft Triangle du duo suédois Taf, la chaise Castor du trio suisse Big Game ou la table pliante A Frame Table de l’Espagnol Tomás Alonso. De son côté, le potier 1616/Arita a exhibé deux belles collections de vaisselle : l’une du Japonais Teruhiro Yanagihara, l’autre du duo batave Stefan Scholten & Carole Baijings. Enfin, la firme Sfera a montré un subtil travail de bois et de céramique signé Shigeo Mashiro.
Dans la série des bonnes surprises enfin, on retiendra la chaise Medici de Konstantin Grcic (Mattiazzi), assise de bois aux formes généreuses et à la silhouette détonante, les carrelages Tex du duo israélien Yael Mer et Shay Alkalay (Raw Edges) pour la firme Mutina, un très joyeux workshop sur le verre soufflé, « Hot Tools », réalisé par les étudiants de l’École cantonale d’art de Lausanne, ainsi qu’une superbe collection de papiers peints dessinés par la graphiste batave Irma Boom pour l’éditeur néerlandais Thomas Eyck. Les couleurs qui strient les lés sont les exacts reflets des nuances de certains sites naturels inscrits par l’Unesco au patrimoine mondial, comme le sommet helvète Jungfrau ou la Grande Barrière de corail australienne. Bref, cette édition 2012 est au final un bon cru !

Milan, un Salon international du… marketing ? Chaque année, on ne compte plus le nombre de marques, hors entreprises mobilières, qui usent du « Salone del Mobile » comme vitrine. Non sans ironie, le designer anglais Jasper Morrison propose d’ailleurs de le rebaptiser « Salone del… marketing » (International Herald Tribune, lundi 16 avril 2012). Ainsi, outre les entreprises du secteur électronique – Panasonic, Mitsubishi Electric, Samsung… –, s’invite aussi l’industrie automobile : Aston Martin, Mini, Ferrari… Si Citroën n’a fait qu’exhiber quelques-unes de ses icônes (DS, SM…) sur des podiums et Renault, essayer sa nouvelle Twizy électrique, la firme Audi, elle, a ouvert le département « Légèreté » de son Centre de design à deux designers munichois, Clemens Weisshaar et Reed Kram, pour élaborer une chaise en carbone sophistiquée, baptisée « R18 Ultra Chair ». Quant à Mercedes-Benz, elle sort carrément sa propre collection, « Mercedes-Benz Style », des meubles profilés, chaise, table, lit, commode, canapé… produits par le fabricant italien Formitalia. La mode – Armani, Bottega Veneta, Moncler, Marni, Vuitton… –, elle aussi, poursuit ses expériences avec le design. La Maison Hermès qui, l’an passé, avait présenté une première collection de mobilier peu convaincante, donne un coup de barre à 180° et se lance dans l’aménagement intérieur avec « Module H », un « système modulable d’éléments architecturaux pour l’habillage des murs et la réalisation de cloisons » imaginé par le maître d’œuvre nippon Shigeru Ban. À voir son prix – 3 500 euros le mètre carré pour un revêtement en tissu et 4 500 euros/m2 pour un revêtement en cuir –, on peut se poser la question de la pertinence… Le Japonais Issey Miyake s’en sort nettement mieux, réalisant une belle collection de luminaires baptisée « In-Ei » et produite par un spécialiste transalpin de la lumière, Artemide. Inspirées des fameuses lampes en papier d’Isamu Noguchi, celles-ci se déploient grâce à un système de pliages et de coutures, mais, plus judicieuses, se passent d’une structure intérieure, se maintenant ainsi… comme par magie.

Légende photo

Trial and Error - Scénographie du designer Oki Sato (Nendo) - Palazzo Visconti - Milan - © Photo Christophe Simenc pour Le Journal des Arts

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Salon de Milan 2012 : L’âge de raison

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