Analyse

Saatchi le suiveur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 587 mots

Le collectionneur britannique se replie sur la peinture et dévoile à Londres les artistes sur lesquels il entend dorénavant spéculer.

Ohé, ohé, le collectionneur-marchand londonien Charles Saatchi achète de la peinture. Cette annonce émeut ceux qui oublient un peu vite que l’homme d’affaires n’avait pas dédaigné autrefois la Transavangarde italienne. En septembre dernier, le collectionneur avait déjà présenté en guise d’amuse-bouche une sélection de tableaux nichés dans les alvéoles du County Hall. Peu de gens avaient alors glosé sur les préliminaires de son opération marketing. Que Saatchi achète de la peinture n’a donc rien de bien révolutionnaire. Qu’il clame haut et fort que celle-ci revient en force pourrait passer pour une lapalissade tant ce médium est fermement inscrit dans le paysage artistique. En revanche, que le publicitaire, qui a façonné de toutes pièces le marché des Young British Artists, ne construise pas de tendance mais se raccroche aux wagons, là on est surpris. L’ancien prescripteur deviendrait-il un simple suiveur ?

Le premier opus de l’exposition-fleuve baptisée « The triumph of painting » (le triomphe de la peinture) (1) convoque Marlene Dumas, Luc Tuymans, Martin Kippenberger, Peter Doig, Jörg Immendorff et Hermann Nitsch, cinq artistes hétéroclites dont la réputation est assise depuis belle lurette. Les trois premiers jouissent actuellement d’une cote ascendante. D’après Artprice, les prix de Marlene Dumas ont progressé de 163 % en 2003, tandis que ceux de Kippenberger affichent en 2004 une hausse de 46 %.

L’exposition Saatchi se lit du coup comme l’inventaire d’un fonds d’investissement ou comme des annales de ventes publiques. Un sentiment éprouvé dès la couverture du catalogue, qui reprend une belle gouache de Marlene Dumas, The Passion, adjugée 65 000 livres sterling (97 500 euros) chez Christie’s le 25 juin 2004. De l’artiste sud-africaine, l’exposition propose sept œuvres dont cinq ont été achetées à l’encan entre 2003 et 2004. On y retrouve ses deux records consécutifs de l’an dernier, Young Boys (1993), jeunes prépubères dénudés en rangée d’oignons, adjugés 880 000 dollars (739 560 euros) chez Phillips le 13 mai, et Jule-die Vrou, un beau visage cramoisi envolé pour 1,1 million de dollars le 10 novembre chez Christie’s. Dans le cas de Luc Tuymans, dont l’exposition ne présente aucun chef-d’œuvre, on remarque Within, une peinture sombre achetée chez Phillips le 13 novembre 2003 pour le prix record de 380 000 dollars.

Butins de guerre
Sur les sept pièces de Peter Doig, artiste de la nouvelle vague de la peinture anglaise, plus de la moitié a été acquise en ventes publiques ces quatre dernières années. Aimant afficher les prix records comme d’autres leurs butins de guerre, Saatchi arbore naturellement The Architect’s Home in the Ravine, acquis pour 280 000 livres sterling (431 500 euros) chez Sotheby’s le 26 juin 2002.

Immendorff est l’artiste le plus intrigant de l’aréopage. Là non plus Saatchi n’a pas inventé la poudre, mais on peut au moins reconnaître qu’il s’est intéressé au plus ésotérique, flamboyant et politique des néo-expressionnistes. En revanche, la présence des Splatter Paintings de l’Autrichien Hermann Nitsch laisse perplexe. L’actionniste vieillissant a le mauvais goût de s’embourgeoiser et ses giclées répétitives n’ont ni le sel ni la sueur de ses anciens rituels corporels.

Ce premier volet de « Triumph of painting » doit donner une légitimité à la suite où s’agrègent de jeunes artistes comme Wilhelm Sasnal ou Tal R. L’exposition prendra alors des allures de catalogue de ventes à venir. S’il n’est plus un leader d’opinion, Saatchi n’en reste pas moins un vrai spéculateur.

(1) « Part I », jusqu’au 5 juin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Saatchi le suiveur

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