PARIS
En multipliant les expositions à travers le monde et les rapprochements entre le géant de l’art et les créateurs contemporains, le Musée Rodin, à Paris, a largement contribué à entretenir la cote de l’artiste.
Un musée qui doit gérer les droits d’auteur d’un artiste, il y a cent ans, c’était très nouveau pour une institution publique. C’est pourtant ainsi que le Musée Rodin, situé à l’hôtel Biron à Paris, a pu traverser un siècle en s’autofinançant. Son budget de 11 millions d’euros provient, pour moitié, des ventes de bronzes, plâtres et marbres de l’artiste et, pour l’autre moitié, des recettes de la boutique, de la billetterie des expositions, des privatisations de salles et de la concession de son restaurant.
Un marché à surveiller
Une année est charnière dans l’histoire du musée : en 1982, Rodin tombe dans le domaine public. L’institution perd alors les droits patrimoniaux et ne conserve plus que le droit moral de l’artiste. Il lui revient de surveiller les contrefaçons en circulation et d’intenter les actions en justice si besoin, ce qui lui coûte des frais d’avocat de plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. Plus encore que par le passé, le musée a donc besoin de vendre des éditions d’œuvres originales, dans la limite de douze exemplaires. Heureusement, le sculpteur a été très prolifique : il a produit mille sept cents « sujets » différents, des pièces comme le Balzac ayant été déclinées dans différents formats et matériaux. Pour préserver la cote de l’artiste, le musée doit faire en sorte qu’il soit désiré : générer des expositions partout dans le monde pour doper la demande, mais ne pas éditer trop d’œuvres pour ne pas inonder le marché.
D’autant que « six mille à sept mille bronzes, réalisés du temps de Rodin, ou après sa mort, ont déjà été mis sur le marché. Et les demandes vont toujours vers les mêmes chefs-d’œuvre : Le Penseur, Balzac, Les Bourgeois de Calais, Le Baiser… Certains sont épuisés. Il nous faut renouveler l’offre éditoriale en nous orientant vers des sujets moins connus, mais donc moins commerciaux », observe Catherine Chevillot, directrice du Musée Rodin. « En outre, les musées et collectionneurs préfèrent acquérir les bronzes fondus du vivant de l’artiste que ceux réalisés de manière posthume. L’écart de prix peut aller de 1 à 10 », poursuit-elle. Catherine Chevillot et ses équipes doivent donc partir à la conquête de nouveaux clients. Les musées du Vieux Continent et des États-Unis étant déjà largement pourvus, « reste l’Asie, l’Amérique latine, le Moyen-Orient », note la directrice. Il y a, par exemple, un Rodin dans la collection du Louvre Abou Dhabi, tandis qu’à Mexico, le milliardaire Carlos Slim a acquis une Porte de l’Enfer, pour son Musée Soumaya.
À l’occasion des cinquante années de relations diplomatiques franco-chinoises, en 2014, Catherine Chevillot a expédié des sculptures au Musée national de Pékin. Elle prépare par ailleurs une exposition itinérante pour 2018 dans des musées privés de grandes villes chinoises. « Le marché chinois est encore frileux parce qu’il connaît mal. Les acheteurs potentiels se méfient, il faut leur faire comprendre que nous sommes un musée d’État, ayant droit de l’artiste, ce qui est un gage d’authenticité », poursuit la directrice. Signe encourageant, une Aphrodite inédite a été acquise par un collectionneur privé de Shanghai en 2015, lors d’une vente à Londres chez Christie’s. « Nous n’avions jamais édité cette pièce en bronze, à partir d’une statue de plâtre de 2,15 m réalisée pour un décor de théâtre ; il n’existait donc pas de cote, on s’est dit que le mieux était de laisser faire les enchères, lesquelles ont atteint le million d’euros », précise la directrice.
Travailler l’image
Pour le centenaire, le musée a édité trois nouvelles pièces de petits formats, savamment dévoilées à la presse, aux collectionneurs et aux institutions en mars à l’occasion de l’exposition Kiefer. La cote de l’artiste est ascensionnelle et, depuis dix ans, la politique d’expositions temporaires et événementielles du musée y contribue, de même que son activisme à l’international avec neuf expositions à l’étranger ces cinq dernières années, dont la vaste rétrospective lancée avec le Musée des beaux-arts de Montréal qui tourne encore, du Canada aux États-Unis et à l’Europe.
Le Musée Rodin a aussi travaillé à moderniser l’image du sculpteur, en renforçant ses liens avec les artistes contemporains. « Alors que la sculpture du XIXe séduisait moins, nous avons remis Rodin dans les circuits. Désormais, il est considéré comme le père de la sculpture moderne. Exemple : quand nous avons constaté l’intérêt d’Anselm Kiefer pour Rodin, nous l’avons convié à créer de nouvelles œuvres en écho au sculpteur », explique la directrice. De même, l’exposition coproduite avec le Grand Palais valorise l’onde de choc provoqué par Rodin, les deux tiers des œuvres provenant d’artistes inspirés par le sculpteur prolifique.
Une stratégie qui porte ses fruits. Aujourd’hui, les œuvres de Rodin s’inscrivent dans une échelle de prix de 50 000 à plusieurs dizaines de millions d’euros. Début 2016, chez Sotheby’s à Londres, Iris, messagère des dieux, a pulvérisé son estimation haute pour atteindre 11,6 millions de livres. Peu après à Paris, chez Binoche et Giquello, une épreuve du Baiser réalisée en 1927 a été cédée 2,2 millions d’euros. Le prix moyen des lots adjugés est passé de 116 800 euros entre 1995 et 2004 à 267 664 euros entre 2005 et 2014, et à 288 765 euros en 2015. En valeur, le premier marché reste de loin les États-Unis (54,2 %), devant le Royaume-Uni (24,4 %) et la France (14,2 %). Preuve de la notoriété internationale du créateur visionnaire.
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Rodin, un musée aux manettes du marché
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : Rodin, un musée aux manettes du marché