La Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens qui avait dénié aux ayants droit d’un ami d’Ambroise Vollard tout droit sur des œuvres que le célèbre marchand lui avait remises à la veille de la dernière guerre. En tranchant cette affaire par une interprétation restrictive de la \"possession\", elle a peut-être voulu par avance interdire que celle-ci ne soit opposée à des revendications tardives d’ayants droit de personnes disparues pendant la guerre.
PARIS - La 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait à trancher une affaire complexe, assez semblable aux actions en revendication d’œuvres d’art disparues pendant la guerre et réapparues sur le marché ou dans des collections. Une différence importante existait toutefois : il n’y avait pas, à l’origine, de spoliation. Le contentieux s’est déclenché en 1977. Une banque de Nantes avait loué en 1939 un coffre à un ressortissant yougoslave. Après la guerre, le déposant ayant disparu, le coffre était ouvert en 1946, et son contenu – des tableaux – mis en caisse. Trente ans plus tard, au terme de la prescription, la banque faisait faire l’inventaire par un commissaire-priseur, puis demandait la nomination d’un séquestre pour faire vendre les œuvres aux enchères publiques.
L’identité du déposant étant connue, ses relations avec Ambroise Vollard aussi, la publicité de la vente entraînait une double revendication : des ayants droit d’Ambroise Vollard, mais aussi de ceux du déposant. Les seules certitudes étaient que ce dernier était, en 1939, en possession d’une collection importante provenant de la galerie Ambroise Vollard et que, avant et après le décès du galeriste en juillet 1939, aucune plainte n’avait été déposée à ce sujet. La possession apparaissait donc régulière et, conformément à l’article 2279 du Code civil (“en fait de meubles possession vaut titre...”), la revendication des biens par les ayants droit du déposant semblait recevable. C’était dans ce sens qu’un premier arrêt d’appel était intervenu. Mais il avait été annulé par la Cour de cassation, les juges d’appel n’ayant pas examiné si les circonstances démontraient que le déposant s’était comporté sans équivoque, comme le propriétaire, condition de l’application de l’article 2279.
Une exigence accrue envers le possesseur
Comme les circonstances n’excluaient pas l’ambiguïté, les œuvres ayant pu certes être données mais également prêtées ou remises en dépôt en vue de vente, la Cour d’appel d’Amiens a admis in fine la revendication de la succession Vollard. Le commentateur de l’arrêt publié dans la revue Droit et Patrimoine (n° 268, 24 novembre 1998) s’est étonné de cette décision, sans doute parce que la jurisprudence a toujours considéré que c’était au revendicateur de faire la démonstration du vice de la possession (c’est-à-dire, dans cette affaire, la succession Vollard), la protection du possesseur étant même renforcée lorsqu’il tient le bien de son véritable propriétaire, au point que la bonne foi n’est pas exigée du possesseur dans ce cas.
On peut dès lors se demander si la Cour de cassation n’a pas infléchi cette jurisprudence pour éviter que la possession ne devienne opposable aux ayants droit de personnes disparues pendant la guerre, pour lesquels l’administration de la preuve peut être rendue pratiquement impossible. Il est également envisageable que la cour a entendu donner à cette décision une portée plus générale encore, exprimant une exigence accrue envers le possesseur.
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Pas d’équivoque pour Ambroise Vollard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : Pas d’équivoque pour Ambroise Vollard