Ventes aux enchères

VENTES PUBLIQUES

Pas d’acheteur pour « La Grande Baigneuse » de Courbet

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2023 - 623 mots

MONTABAZON

Doutant de son attribution au peintre d’Ornans, personne n’a enchéri lors de sa mise aux enchères chez Rouillac.

Gustave Courbet (attribué à), La Grande baigneuse, vers 1869, huile sur toile, 83 x 160 cm. © Rouillac
Gustave Courbet (attribué à), La Grande baigneuse, vers 1869, huile sur toile, 83 x 160 cm.
© Rouillac

Montbazon (Indre-et-Loire). Le marché a finalement tranché. Le 4 juin dernier, lors de la garden-party annuelle de la maison de ventes Rouillac au château d’Artigny, La Grande Baigneuse, de Gustave Courbet (1819-1877) n’a suscité aucune enchère (est. 300 000 à 500 000 €). Depuis sa présentation au public fin mars, des avis contraires quant à son attribution avaient fusé, créant la polémique. « Tout est parti de “L’Est républicain”, qui s’est lancé dans une campagne contre ce tableau, après avoir été contacté par un professeur de littérature comparée franco-italienne, Luigi De Poli, auteur d’un ouvrage sur Courbet. Pourquoi lui avoir accordé tant de crédit ? », s’agace Aymeric Rouillac. « Il y a eu une perte de confiance autour de ce tableau, malgré la reconnaissance du Musée Courbet, de conservateurs et historiens spécialisés [Thierry Savatier, Niklaus Manuel Güdel]. Mais l’absence de consultation du Comité Courbet qui l’a fait savoir [le vendeur, Johann Naldi, surnommé “le chasseur de trésors”, n’a pas souhaité le soumettre au comité estimant la composition de ce dernier trop opaque] a semé trop de doutes », a estimé Thomas Morin-Williams, l’expert qui présentait le tableau.

À cette polémique sont venus s’ajouter d’autres facteurs. Courbet est un artiste complexe à authentifier. De nombreuses œuvres passent sur le marché sous les dénominations « atelier de Courbet », « attribué à » ou encore « dans le goût de ». Il faut dire que durant les cinq dernières années de sa vie, il a fait appel à des collaborateurs (comme Cherubino Patta) pour honorer les très nombreuses commandes de paysages, entretenant la confusion. Aussi, « seulement quelques dizaines d’œuvres certifiées de sa main passent en vente par an », affirme l’expert. Par ailleurs, son œuvre est très peu documenté, aucun inventaire n’ayant été réalisé de son vivant. Le manque de traçabilité de la toile n’a donc pas joué en sa faveur. « Néanmoins, plein de tableaux de Courbet avec un pedigree exceptionnel ne se vendent pas [comme Le Château de Chillon, de la collection Safra, ravalé fin mai chez Christie’s], le marché de Courbet n’étant pas au plus fort. »

La désaffection des collectionneurs actuels

Dynamique dans les années 2000, la cote de Courbet enregistre une baisse depuis les années 2010, même si un record a été atteint en 2015 avec Femme nue couchée, (14,2 M€, Christie’s New York). « Pour les œuvres rassemblant toutes les garanties, la gamme de prix est très large, de 30 000 à 2,7 millions d’euros [pour Étretat : Les Falaises, 1862] », assure l’expert. Aujourd’hui, les prix des paysages de Courbet – qui ont fait sa renommée – sont modérés (entre 80 000 et 100 000 €). Beaucoup ne trouvent pas preneur, « faute d’intérêt pour ces représentations moins dans l’air du temps ». Ce sont surtout ses sujets réalistes – en 2022, Sotheby’s Paris a adjugé 1,7 M€ La Pauvresse de village (1866), issu de la collection Robert Schmit – et les nus qui sont les plus recherchés (entre 500 000 et 1 M€). Ceux-ci sont relativement rares puisque selon le catalogue raisonné de Robert Fernier, une cinquantaine sont référencés sur environ 1 000 œuvres. S’agissant de La Grande Baigneuse, alors qu’elle répondait aux critères du nu dans un sous-bois du peintre, selon Thierry Savatier – « présence de l’eau, seins en forme de poire et écartés au maximum »–, la facture moins aboutie n’a pas fait consensus.

Que l’œuvre ait été exposée en 2019 au Musée Courbet (Ornans) à côté de La Source prêtée par le Musée d’Orsay n’a pas suffi à rassurer. Il faut dire que l’institution parisienne a fait savoir que cela ne validait pas l’attribution. « Je ne vois pas comment Orsay aurait pu laisser un tableau sur lequel planait un doute à côté du sien », s’est insurgé Aymeric Rouillac, qui avait axé sa communication sur ce prêt.

 

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : Pas d’acheteur pour « La Grande Baigneuse » de Courbet

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