« Pas à vendre ». Il est rare d’entendre une telle phrase de la part d’un galeriste. Sauf bien sûr s’il ne juge pas le client « à la hauteur » d’une œuvre qu’il aura préféré mettre de côté pour un acheteur au pedigree plus étoffé. Ou si la pièce en question a réellement été vendue. Mais il est d’autres cas, de plus en plus fréquents, où les marchands organisent des expositions non destinées à la vente.
À la Foire de Bâle en juin, la galerie berlinoise neugerriemschneider avait entièrement consacré son stand à l’artiste dissident chinois Ai Weiwei. Prêtées par une institution, les œuvres, au demeurant plutôt anecdotiques, n’étaient pas à vendre. Ce statement avait valeur de protestation contre l’incarcération de l’artiste.
De leur côté, les marchands américains versés aussi bien dans le premier que dans le second marché tendent de plus en plus à se substituer aux musées en organisant des expositions historiques et a priori non commerciales. L’an dernier, Larry Gagosian a orchestré un accrochage des œuvres tardives de Claude Monet avec vingt-sept tableaux dont onze issus du Musée Marmottan, à Paris. Une opération coûteuse qu’aucun musée américain ne s’était aventuré à engager jusque-là. Au printemps, Gagosian a récidivé en organisant une exposition exceptionnelle dédiée à l’histoire d’amour entre Picasso et Marie-Thérèse Walter. Pour sa part, la galeriste Barbara Gladstone avait organisé en 2009 une petite rétrospective de l’artiste italien Alighiero e Boetti. Une manière de signaler la puissance d’une galerie privée, sa capacité à obtenir des prêts auprès des musées et des successions. Une façon aussi de paver son chemin dans l’art moderne, dont les acheteurs, en temps de crise, se révèlent moins volatils qu’ailleurs. « Nous sommes tous des "closet curators" (curateurs non avoués) », sourit le galeriste new-yorkais David Zwirner, qui a reconstitué l’été dernier l’exposition de 1989 de Donald Judd au Staatliche Kunsthalle de Baden-Baden, en Allemagne. « Les musées américains sont aussi beaucoup moins aventuriers que les musées européens, qui prennent plus de risques dans leurs expositions. Et il y a une densité de musées plus grande en Europe qu’aux États-Unis. Enfin, New York est une ville compétitive et les galeries veulent se distinguer les unes des autres. »
Opération lucrative
Mais surtout, une exposition dans laquelle rien n’est à vendre peut se révéler au final très lucrative. « Ces expositions renforcent votre crédit auprès des collectionneurs et institutions, souligne David Zwirner. Vous faites quelque chose juste pour consolider la réputation de la galerie, et six mois après, vous en récoltez les fruits. Ces expositions historiques débouchent sur des opportunités commerciales parce qu’elles vous ouvrent la porte de collectionneurs que vous ne connaissiez pas. » « Quelqu’un qui possède un dessin de James Ensor peut être content de le vendre par notre intermédiaire pour acheter, par exemple, une sculpture de Louise Bourgeois », ajoute Adam Scheffer, directeur de la galerie Cheim & Read, laquelle a effectué en 2007 un accrochage autour de James Ensor et l’art contemporain. Tous les chemins, même les moins mercantiles, mènent au commerce.
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« Not for sale »
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Abonnez-vous dès 1 €Vue de l'exposition "Alighiero e Boetti" (7 novembre 2009 - 23 janvier 2010) © Gladstone Gallery
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°353 du 23 septembre 2011, avec le titre suivant : « Not for sale »